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Standards de Maxime Pistorio et Julie Jaroszewski

Publié le 15/12/2011 par Anne Feuillère / Catégorie: Critique

L’arroseur arrosé

Standards semble avoir été tourné par deux amis qui en auraient eu ras le bol de leurs situations d’impuissances dans un climat social plus que tendu, et qui auraient donc fait le choix de retourner le regard. On les comprend aisément au vu de leur court métrage présenté à Filmer à tout prix. Drôle, aux petits accents « Strip Teasien » un peu condescendant, piquant et assez malin pour tenir en quelques minutes des questions fortes, Standards ne se paie pas de trop de mines et va vite à l’essentiel pour toucher avec intensité à la violence des rapports de classes. Mais la caméra est là justement pour s’en libérer. C’est drôle, modeste et salutaire.

Standards de Maxime Pistorio et Julie Jaroszewski

Ils sont quelques amis musiciens qui pour manger, on s’imagine, se retrouve à animer des soirées privées où ils jouent des standards, on l’aura compris. Les voilà donc dans un superbe château (on a cru reconnaître une propriété magnifique et décadente, quelque part près de Namur où un tournage nous avait une fois menés. Peu importe, sinon l’isolement et la majesté de l’endroit qui, à  louer donc, pour des tournages ou des soirées privées, dit quelque chose de la « paupérisation » des riches – pour vous faire rire). Les voilà donc à se maquiller, se préparer dans leurs petites loges et s’interroger sur la prostitution. Qu’est-ce que vendre son corps ? Et derrière, évidemment, leur propre question, qu’est-ce que vendre son talent ? C’est que tout là est rapport d’argent et de classe sociale. L’organisateur qui semble avoir commandé leur présence admire les uns, embrasse une autre, et ne sait plus comment les deux autres se nomment. Peu importe, ils sont là pour jouer de la musique contre un peu d’argent, « et ne vous vexez pas si on ne vous écoute pas »... Et la caméra de filmer le brouhaha du dîner, les danses  hystériques de ces bourgeois de plus en plus enivrés, la manière dont ils font peu de cas des serviteurs, en l’occurrence, les musiciens, payer pour les divertir. On peut s’agacer de cette manière de voler à l’autre son image pour le ridiculiser, de mettre toutes ces personnes dans le même panier, de simplifier le rapport de force à quelques traits de grossièreté de l’un ou l’autre – et le maître de cérémonie en est un bel exemple, de grossièreté. Mais là où le film est plus intelligent, c’est qu’il ne se pose pas en maître à penser ou en juge moraliste, mais que, cultivant son ironie autour de la question de se vendre ou pas, il capte à la fois l’humiliation – et en l’occurrence, elle consiste justement à n’être pas regardé, mais à être utilisé -, puis retourne le regard sur ceux qui humilient. Se faisant, Standards permet une distance que le rapport de force écrasait et vient maintenir un écart salutaire à la bonne santé mentale de ses auteurs.  En gros, avec humour et modestie, l’intelligence de Standards est d’assumer le rapport de force, sans en nier la réalité dans une position idéologique ou moraliste, de s’en savoir partie prenante (autour notamment de cette question de la prostitution, autour de ces images filmées du groupe, de la chanteuse et du pianiste où chacun joue son jeu dans ce rapport) mais, par l’acte même de le filmer, de se permettre de n’en être pas dupe, de s’en affranchir et donc de le dépasser.

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