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Tokyo Fiancée de Stefan Liberski

Publié le 15/10/2014 par Anne Feuillère / Catégorie: Critique

Soi-même comme un autre, ou l'inverse 

Bunker Paradise n'y allait pas par quatre chemins dans la douleur d'exister. Baby Balloon, teenage movie, était plus léger, saupoudré par instant de notes sombres et poignantes. Avec son troisième long métrage, Stefan Liberski filme encore ce moment de la vie où l'individu se cherche et tente de se choisir. Au-delà de ses apparences bariolées, fantaisistes et légères, Tokyo Fiancée est une fois de plus l'histoire d'une métamorphose, un voyage initiatique plus noir qu'il n'y paraît. 
Tokyo Fiancée est le film choisi pour le concours d'écriture de critique.

Tokyo fiancéeDans son premier film, Stefan Liberski filmait déjà le Japon à travers un contrepoint lyrique et doux, quelques images d'un jeune enfant parti là-bas, qui repoussait un peu au loin l'horreur de cette bande de jeunes adultes vampiriques cloîtrée dans ce bunker de riches pourris jusqu'à la moelle. Le Japon était un point de fuite, un imaginaire apaisant, l'espace d'un ailleurs où il était encore possible de transmettre et de s'inventer. Dans Tokyo Fiancée, ce Japon-là n'est plus le lieu d'une transmission riche et apaisée, mais celui d'une rencontre sans cesse recommencée, le reflet miroitant et insaisissable où se rejouent les métamorphoses.

Amélie est une jeune belge née au Japon qui a quitté, à l'âge de cinq ans, le pays. À 20 ans, la voilà qui y retourne pour y vivre. Elle a décidé qu'elle était Japonaise. Et écrivain. Passé les premiers moments de l'émerveillement, la jeune fille va expérimenter lentement, mais sûrement, sa différence, et de fait, abandonner doucement ses propres masques pour aller vers une identité à inventer.

Avec Tokyo Fiancée, Stefan Liberski s'attaque à un monument belge, l'écrivain Amélie Nothomb dont il adapte ici le roman, Ni d'Eve ni d'Adam. Et le personnage interprété par la jolie Pauline Etienne porte des chapeaux et des vêtements bariolés, se maquille parfois avec outrance, et cultive des mines innocentes et joyeuses. Chaque plan du film se double ainsi de l'image très médiatique de l'auteur de renom qu'elle entérine. Dans la distance imposée par un réalisateur au commande qui adapte un roman, cette façon d'aller coller à une image préfabriquée ne s'explique pas totalement, sinon sous le mode de l'allégeance. Et ce, d'autant plus que c'est le cœur du film, le fantasme de soi-même qu'il s'agit de quitter pour réussir à se construire. Mais passons. Pourquoi pas ? Après tout, pour ceux qui aiment les écrits d'Amélie Nothomb, le film ne devrait pas être une déception. Pauline Etienne passe d'une interprétation d'innocente émerveillée au sourire perpétuel à celle d'un visage plus assombri en questionnement. Elle prend parfois le risque d'un jeu monolithique, mais elle y échappe grâce aux deux temps du film : celui de l'émerveillement d'abord, puis la lente et douce désillusion qui ne prend ni tout à fait cette forme, ni tout à fait ce nom. C'est que le récit de Tokyo Fiancée est ténu. Le film progresse le long de ce fil presque unique, la narration d'une rencontre amoureuse, qui se scande sur la découverte de ce pays et les métamorphoses de la jeune fille.

tokyo fiancéeIl y a de la joie dans ce troisième long métrage. Le générique coloré, la présence sautillante de Pauline Etienne, le montage rythmé qui feuillette et emmagasine le plus possible de ce pays lointain, les images d'Hichame Alaouié souvent contrastées qui magnifient encore la diversité et la beauté du Japon, les échappées imaginaires du personnage qui se figure sur une scène d'un théâtre No, les personnages secondaires comme Alice de Lencquesaing ou la mère de Rinri, tout droit sorti d'un film de fantôme chinois, tout cela donne au film son ton cocasse, sa légèreté dédramatisante et son humour en forme d'auto-dérision. Mais cette légèreté, peu à peu, se mue en une sorte de grisaille brumeuse, à l'image des plans magnifiques du Mont Fuji. Moment de basculement du film, le sentiment d'étrangeté y est trop fort, il brise le fantasme de soi pour introduire le vide nécessaire à la construction de l'identité. Alors, la jeune fille perdue avec ses émotions, va se perdre réellement dans la montagne, manquer de mourir et, finalement, accoucher en quelque sorte d'elle-même. Après l'enchantement d'un monde entièrement nouveau, le film va désormais aller se tisser de doutes, d'abandons dans l'étrangeté d'une altérité peu à peu dévoilée et reconnue comme telle. Le chemin qui mène à l'affirmation de son identité féminine est encore long, douloureux, et hésitant.

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