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Tournage - Je suis mort mais j'ai des amis des frères Malandrin

Publié le 15/06/2015 par Anne Feuillère / Catégorie: Tournage

Je suis mort mais j'ai des amis n'est ni un tableau surréaliste, ni l'incipit d'un roman doux-amer, ni une prière de consolation païenne. C'est le titre du troisième long métrage des frères Malandrin après Ça m'est égal si demain n'arrive pas et Où est la main de l'homme sans tête ? qui ne dépareille donc pas l'ensemble.Leur premier film était tendre, triste et léger comme un essai jeté au vent autour d'une famille déchirée. Leur second, noir, dense et haletant, porté par Cécile de France, racontait les affres d'un deuil. 

Le tournage en PDF : Tournage_Je_suis_mort_mais_jai_des_amis.pdf

Guillaume et Stéphane Malandrin attaquent maintenant une comédie au casting réjouissant où silhouettes et gueules de ciné s'enchaînent : Wim Willaert, Bouli Lanners, Serge Riaboukine, Lyès Salem, Jacky Lambert, Eddy Leduc... Pendant un peu plus de deux semaines, ils ont parcouru la Belgique pour filmer à Liège, Bruxelles et Ostende. Ils ont fait un petit saut à Amsterdam, et comme ils avaient envie de voir des ours, dixit Stéphane, ils allaient s'envoler bientôt dans le grand Nord québécois suivre les tours et les détours de leur bande de pieds-nickelés rock'n rolleurs pré-cinquantenaires sur leur retour et en déroute. On les a croisés entre deux voyages, dans le labyrinthe de la RTBF, sur des airs de « Love, love me do »...

les frères malandrin sur le tournage de Je suis mort mais j'ai des amis Arrivées là, on est un peu perdu. On déambule dans les couloirs, hangars, terre-pleins immenses du labyrinthe avant de retrouver le QG de la production. On nous entraîne dans d'autres dédales de couloirs vitrés vers le plateau, ailleurs les loges. En chemin, on nous précise où sont les vraies toilettes. C'est qu'aujourd'hui, les flèches qui marquent le chemin vers le plateau disent « Décors W.C. » Dans cet espace immense, ces studios monumentaux, on va donc s'enfermer dans de petites toilettes. Mais c'est ça, le cinéma. « Demain, nous allons tourner une scène dans le grand studio. Mais quand nous avons visité les lieux, nous avons trouvé ces toilettes qui correspondaient à un décor que nous cherchions au Canada. Alors, nous le tournons ici », raconte Guillaume. « Les toilettes sont souvent fermées. L'un des personnages s'échappe par une fenêtre, et nous avions besoin de toilettes ouvertes sur l'extérieur », complète son frère, Stéphane. Pendant que l'équipe s'installe sur le plateau, quelque part, Bouli Lanners vient d'arriver. Il promène Gibus, son chien qui ne le quitte pas, et rejoint les loges où l'entraîne Elisabeth Ancion, la costumière du film sur le plateau - et son épouse à la ville. Sorte d'oiseau frêle et lumineux aux yeux doux et perçants, Elisabeth est toujours là, discrètement en coulisse ou dans l'arrière-scène du plateau, au cas où l'on ait besoin d'elle. Mais a priori, sur ce tournage, les choses sont faciles, confie-t-elle tranquillement. En effet, en deux temps, trois mouvements, Bouli Lanners a troqué son jean pour s'habiller de blanc clinquant façon chanteur de country 1ère classe. Pendant que Guillaume et Stéphane tournent une scène avec Wim Willaert, il jette un œil à son texte. À ses côtés, Serge Riaboukine, l'un des Français de la bande, se recoiffe un peu. Riaboukine, c'est une silhouette familière qui arpente les plateaux du cinéma français depuis plus de trente ans. Carrure imposante, gueule un peu cassée de baroudeur, cheveux œil de corbeaux, Riaboukine, c'est le patibulaire par excellence, mais aussi l'étrange bonhomme ou le faux salaud vraiment sympa, l'abonné des seconds rôles qui marquent et tranchent. On l'a vu chez Deville, Haneke, Tavernier ou dans les premiers films d'Eric Guirardo, Jérôme Bonnell ou Hélène Angel. Mais on l'a croisé aussi dans La Tour Montparnasse. Rien ne lui fait peur et tout semble l'amuser. En Belgique, il a traversé 9 mm de Taylan Barman et plus récemment L'Envahisseur de Nicolas Provost. Dans les loges, avec Lanners, quand Riaboukine commence une phrase, Lanners la termine – ou vice et versa. Un duo en forme de tranquille et joyeuse partie de ping-pong où sans cesse, l'un surenchérit sur l'autre dans la douce déconnade. Wim Willaert, le Flamand de la bande, se marre de ces jeux de mots que Serge affectionne, mais dont il n’en comprend que la moitié. Pas grave. Quant à Lyes Salem, il assiste, l'œil calme et amusé, au cirque fantasque de Riaboukine.

les frères malandrin sur le tournage de Je suis mort mais j'ai des amis Dans Je suis mort mais j'ai des amis, ils incarnent une bande de copains qui se retrouvent et s'embarquent dans une épopée un peu absurde, « un groupe de rock qui doit aller à Los Angeles, mais qui n'y arrivent jamais », résume, un peu mystérieusement, Guillaume. « Ils ont tous presque 50 ans et ils sont fatigués, mais ils veulent quand même faire du rock. Tout ce qu'ils entreprennent est une succession de ratages, des ratages de plus en plus chaotiques... », explique Stéphane.

Serge Riaboukine interprète Pierre, l'ancien batteur du groupe. « Il a quitté le groupe à cause, on le devine, de frictions. C'est le rockeur qui a un peu rangé les rouflaquettes - au départ du film, en tous cas. Après, l'évolution du personnage évidemment, est autre, mais elle n'est pas du tout lisible, je n'ai pas réussi à la jouer, j'étais effacé par les personnalités des autres comédiens. Je me suis un peu laissé aller et je m'en suis tenu au texte. Je n'y suis pas forcément arrivé d'ailleurs parce qu'il y a des moments où je crois que j'ai loupé des syllabes... »

Bouli, lui, a sauté sur le rôle d'Yvan, le bassiste de ce groupe de rock, « le plus soupe au lait », celui qui voudrait reformer le groupe, parce qu'on lui offrait de vivre l'un de ses plus grands fantasmes. « Je n'ai jamais réussi à être un guitariste de groupe de rock, c'est l'un de mes plus grands regrets. J'ai encore essayé l'année passée de monter un groupe, mais j'ai, encore une fois, constaté à ma grande déception, que je suis un mauvais musicien ! Mais ici, pendant un court instant, je suis l'un des plus grands bassistes de groupe de rock du monde ! Et j'ai pu faire un concert dans une salle où j'allais moi-même devant un public composé de gens que j'allais écouter ! Et donc, pendant une demie journée, je m'y croyais ! »

les frères malandrin sur le tournage de Je suis mort mais j'ai des amis Quant à Lyes Salem, on le connaît bien en Belgique, il est un habitué du Festival du Film Francophone de Namur, entre son métier de comédien qui l'y conduit souvent, ses trois premiers courts métrages et son premier film, Mascarades, qui y fut en compétition officielle il y a quelques années. Ici, il retrouve Guillaume et Stéphane, avec qui il avait envie de travailler dans un rôle-clé. « Je suis l'élément perturbateur de la bande, un militaire qui va s'incruster dans ce voyage, le rendre impossible ». Un rôle de pilote de l'air pas comme les autres « celui qui envoie en l'air », renchérit-il, l'œil ténébreux et enjôleur. Toute cette famille de comédiens, Stéphane et Guillaume ne l’a pas castée.

Depuis le départ, ils savaient avec qui ils voulaient travailler. « On a écrit les rôles sur mesure, pour des gens avec qui on avait envie de tourner. On ne connaissait pas Wim, mais on l'avait vu dans Quand la mer monte où il nous avait semblé extraordinaire. On l'a rencontré plusieurs fois quand on écrivait le scénario. Il est musicien aussi, il fait des concerts, on est allé le voir plusieurs fois et on a écrit pour lui. On a écrit pour Bouli, pour Serge et pour Lyes. ». Un film écrit à deux, tourné en famille, avec des amis sur des amis : « Après Où est la main de l'homme sans tête ?, qui était un film plutôt dur et féminin, nous avions envie de changer, de faire un film avec des garçons et une comédie vraiment drôle. Tous ces personnages sont inspirés de nos amis. Ce n'est pas un film musical, c'est un film sur le rock, comme The Big Lebowski est un film sur le bowling. Le rock, c'est le milieu de ces mecs-là, ce qu'ils font toute la journée. Je suis mort mais j'ai des amis est un film sur l'amitié : comment garder ses amis, rester avec eux toute sa vie, ne pas se disputer avec eux, comment se disputer et se réconcilier avec eux, que faire quand l'un d'entre eux meurt, comment faire face à la fin d'une amitié. » Concis, Guillaume résume : « C'est un film d'amour. » Un film d'amour entre hommes, car dans Je suis mort, « les nanas ne sont pas très présentes. C'est un film écrit pour des bonhommes, qui ne veulent pas accepter qu'ils ont vieilli, qui n'acceptent pas d'être adultes, ils vivent vraiment de façon irresponsable, ils ont chacun une manière d'être dans le déni. Surtout ton personnage, Bouli. Et c'est ce qui crée la comédie, ce décalage entre leur désirs et la réalité. » Bouli acquiesce : « Ils sont dans un déni total, ils n'ont pas fait le deuil de leur adolescence. » Pensif, il ajoute : « Mais c'est tout à fait dans l'air du temps. Les hommes d'aujourd'hui ne sont pas des messieurs comme nos grands-pères l'étaient. On est tous un peu des ados. On réagit comme des ados, on s'habille comme des ados, on utilise des moyens de communication comme des ados. Et on fait de nous des vieux ados parce qu'un ado, ça commence. On nous déresponsabilise, je trouve. Le ton du film est très juste. » N'est-ce pas un peu pathétique ? « Ah si ! Mais c'est très drôle », répond Serge.

les frères malandrin sur le tournage de Je suis mort mais j'ai des amis Sur ce tournage, que ce soit dans les loges, les coulisses ou le plateau, l'ambiance est plutôt détendue et festive. Stéphane papillonne ici et là, revient sur le scénario qu'il tient en main, s'amuse des rushs de la veille qu'il nous montre. Guillaume, moins expansif, a l'air concentré, les sourcils broussailleux mais des sourires tout aussi satisfaits. L'un baskets vertes et casquette noire, l'autre chemise à carreaux et barbe de plusieurs jours, ils suivent au combo la scène qu'on tourne à l'épaule derrière Lyes Salem au téléphone dans les toilettes. Lyes Salem repart en loge, Wim Willaert débarque sur le plateau, une magnifique casquette jaune pétard enfoncée sur sa tignasse et une barbe... Mais alors quelle barbe ! Pour le rôle, bien entendu. Quand il n'est pas en tournage, Wim laisse tout pousser de sorte que dès qu'il se retrouve sur un plateau, on peut faire ce qu'on veut de sa tête : « Du coup, je n'ai pas de style. Mon style, c'est mon boulot », s'esclaffe-t-il. Et sur le ton de la confidence, il ajoute que ces voisins, il a dû les avertir de ces changements d'apparence parce qu'au début quand il avait les cheveux blonds, ils pensaient que sa femme voyait quelqu'un d'autre ! Et il rigole. Un peu plus tard, entre deux scènes, il nous dira qu'il s'est engagé sur le film pour deux raisons. D'une part, parce que les Malandrin, comme il les appelle, étaient très sûrs de le vouloir, et qu'il a beaucoup rit en lisant le script. Et puis, il y avait aussi son envie de travailler avec Bouli Lanners, qu'il a croisé dans Quand la mer monte et à d'autres petites occasions. Et il confie qu'il se sent l'équivalent flamand de Bouli. On comprend bien pourquoi, même si de notre côté, ce n'est pas leurs amours communs de la nature, leur attention à la lumière, aux nuages qu'on aura constatés, mais plutôt leur sérieuse tendance à la déconnade générale, leur jovialité et leur tendresse radiante. Sur le plateau, il se tient en retrait, dit bonjour à tout le monde, attend qu'on l'appelle pour répéter sa scène. Mais chaque fois qu'il ouvre la bouche, entre deux échanges sur ce qu'il doit faire ou comment il doit le dire, il se marre, Wim Willaert.

les frères malandrin sur le tournage de Je suis mort mais j'ai des amis Autour de lui, ça chantonne ou sifflote. On installe les lumières. Marc Engels, l'ingénieur son, cherche sa place dans l'espace étroit des toilettes où la scène de Wim va se tourner. Pendant qu'on installe les rails de la dolly, que Stéphane dirige l'acteur pour qu'il s'imprègne du rythme de sa scène, Guillaume discute lumière et mouvement avec le chef opérateur Hugues Poulain. En travelling avant, la caméra doit suivre les pas du personnage le long de ce couloir bleuté. Guillaume se méfie, le plan pourrait être « trop référencé », avoir des airs de films d'horreur. Tout dépend du réglage de la focale, le rassure Hugues Poulain, calme et sûr de lui, sans doute le plus discret sur ce plateau débonnaire et joyeux. Guillaume lance : « Bon, on va faire toute la scène ». « C'est quoi la scène, Guillaume, on l'a pas calée », demande Stéphane. « Et ben, on va la caller tout de suite », répond Guillaume qui annonce : « Mécanique ». Christelle Agnello, l'assistance des réalisateurs, sous des airs rock'n'roll, la mèche noire sur l'œil et le blouson kaki est discrète, mais omniprésente. Elle rappelle tout le monde à l'ordre. « On va tourner, silence s'il vous plaît, en place ». C'est elle ici qui joue un peu les Jiminy Cricket et tient quelques rênes. Guillaume lance la mécanique, en musique, sur l'air de « Love me do », la chanson des Beatles. Une répétition enlevée, rythmée, sur la chanson qu'entonne Wim. « Une mécanique à 25 000 euros ! », s'amuse Guillaume. C'est qu'« Initialement, la séquence devait être tournée en chantant « Love Me Do ». Mais si on chante cette chanson, ça nous coûte 20 000 euros pour les ayants droit. On a donc décidé de faire une version alternative, à travers les titres... », explique Stéphane « En fait, dans l'histoire, il y a un personnage, joué par Wim Willaert qui a peur de monter en avion. Il est phobique. Au début du film, ils partent en voyage à Los Angeles. Il a tellement peur de prendre l'avion, qu'il explique « Je peux pas monter dans cet avion, il y a Pete Best. » Pete Best, c'est le cinquième Beatles qui s'est fait viré en 1961 quand les Beatles ont enregistré « Love me do ». Il est devenu boulanger. C'est l'homme le plus malchanceux du monde. Si Pete Best est dans l'avion, il dit « On va mourir, c'est sur, on va se scratcher ». Et évidemment l'avion a un problème, il fait un atterrissage forcé au Québec. Quand l'avion atterrit, il le revoit, il le suit dans les toilettes, mais il n'est pas sûr que ce soit vraiment lui, et c'est pour ça qu'il y a ce petit échange en chanson, ou via des titres de chansons des Beatles où l'autre s'identifie en effet comme Pete Best, mais il signe... » Guillaume interrompt son frère : « Hop ! Mystère ! Il faudra aller voir le film ! » Wim répète sa scène plusieurs fois, en chanson, puis la prise est lancée. On tourne et retourne plusieurs fois. Ça va vite, il faut trouver le rythme de la scène. Les scènes sont nombreuses où les personnages sont plusieurs. « Le texte est très écrit et doit tomber juste. Quand on tourne, la séquence se raccourcit, chacun trouve ses marques, ils sentent que le texte doit être dit plus vite. On a aussi essayé de tourner en plan-séquence parce que certaines scènes nous faisaient rire en plan-séquence. Mais on ne peut pas faire ça pour toutes, d'autres scènes sont plus découpées, bien sûr, pour raccourcir ou accélérer le rythme », explique Stéphane. Entre les deux frères, aucune tension. Stéphane est du côté des mots. Scénariste sur la plupart des films signés par Guillaume, il a écrit aussi pour son ami Olias Barco - et de nombreux livres pour enfants. Guillaume, un des quatre mousquetaires de l'ancienne Parti Production, est dans le faire, le va et vient sur le plateau, la prise en main technique et les commandes. Quand on leur demande comment ils travaillent à deux sur un film, Guillaume répond : « Je prends les minutes paires, Stéphane les minutes impaires », et Stéphane continue : « Il dit action, je dis coupez ». Et puis finalement, quand une lueur de sérieux le traverse, il ajoute que le cinéma est toujours une affaire d'équipe, qu'on ne crée jamais seul. Ça m'est égal si demain n'arrive pas, Guillaume en a signé la réalisation parce qu'il avait particulièrement occupé ce poste. Mais Stéphane était là, et Jacky Lambert, qui jouait le rôle principal, avait quant à lui, co-écrit le scénario et participé à la réalisation. Et d'ailleurs peut-être, pourraient-ils faire un film à quatre ? Le cinéma comme une histoire de famille et d'amitié...

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