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Un pont sur la Drina de Xavier Lukomski

Publié le 01/11/2016 par Philippe Simon / Catégorie: Critique

 La permanence d’un lien

 Un pont sur la Drina de Xavier Lukomski pose un acte cinématographique important dont le spectateur ne peut ignorer les conséquences.

Au point de départ,  il y a l’enregistrement sonore d’un témoignage. Celui d’un homme qui raconte à des juges ce qu’il a vu et fait durant la guerre de Bosnie. Ces juges sont ceux du tribunal international de La Haye et le témoin répond à leurs questions. Il rapporte comment il a vu des cadavres flotter sur la Drina, comment avec d’autres, il les a repêchés et enterrés, combien il y en avait et dans quel état de décomposition ils étaient, des corps d’adultes et des corps d’enfants putréfiés, enfermés dans des sacs plastiques, des corps marqués par les tortures, amputés de leurs membres, des corps...

L’horreur de son récit se trouve encore renforcée par le jeu des questions et des réponses propre à un interrogatoire qui se veut étranger à toute forme d’émotion. Ici, ce qui s’énonce, ce sont des faits, seulement des faits, avec la crudité et la brutalité d´une démarche qui  se veut objective.

Et puis, il y a le cinéma. Un pont sur la Drina, avec une économie de moyen étonnante, réussit le tour de force de dépasser le jugement tant moral que pénal en nous proposant un point de vue qui par-delà les morts et les atrocités, en appelle directement aux vivants et à ce qui les tient ensemble.

Face à la violence du témoignage sonore et comme pour s’y confronter, le tenir à distance tout en lui donnant la parole, Xavier Lukomski a voulu l’image d’un pont. Et l’image d’un pont, c’est l’image d’un lien. Une image symboliquement forte. Un pont enjambe le cours d’un fleuve, d’une vie, d’un récit. Il relie deux rives, deux paroles, deux regards. Il affirme la permanence d’une rencontre.

Xavier Lukomski filme ce pont pour ce qu’il est, une métaphore de ce qui fut, de ce qui est et peut-être de ce qui sera. Avec une rare intelligence de la durée, il parvient à enrayer cet implacable processus de l’oubli et dans le même geste, il donne au spectateur le temps de se penser partie prenante du film.

C´est là l’extraordinaire force d’Un pont sur la Drina : avoir su concevoir, à partir d’un instant monstrueux de l’histoire actuelle, un lieu cinématographique où non seulement le spectateur peut prendre conscience que cette histoire est en partie son histoire mais aussi réfléchir à ce qui pourrait en changer le cours, à ce qui devrait nécessairement le changer.

Film qui pose le devenir du spectateur comme une nécessité de sa réalisation, Un pont sur la Drina est un moment de cinéma et un moment de vérité auquel on n’échappe pas.

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