Démoli par les Cahiers et méprisé par Le Monde des emmerdeurs qui y auront vu, sans doute de trop près, le reflet de leur impuissance, Une liaison pornographique de Frédéric Fonteyne a pourtant, dit-on, été chaudement applaudi par le public vénitien...
Ni noms, ni adresses ni numéro de téléphone. E.B.J. : écrire bureau journal ! Dans un rôle sur mesure qui vient d'ailleurs de lui valoir le prix d'interprétation féminine à la dernière Mostra de Venise, Nathalie Baye touche à l'âge mûr : toujours jolie et prête à réaliser son fantasme secret, elle jure que c'est la première fois qu'elle passe une petite annonce. Il n'y a pas lieu d'en douter : de toute manière, c'est purement sexuel. Bien sûr, elle pouvait tomber plus mal : aussi touchant que dans le récent Western de Manuel Poirier, Sergi Lopez est quelqu'un de bon et de bien, de très bien.
Une liaison pornographique de Frédéric Fonteyne
La figure du mari parfait, un nounours doux et gentil, si beau quand pour sourire il plisse le coin des yeux. Alors, de semaine en semaine, rendez-vous après rendez-vous, quand le fantasme est assouvi, naît à l'hôtel l'inévitable amour. Celui que l'on ne veut ou n'ose plus attendre, et que l'on se croit sage de ne plus chercher. Celui qui attise la peur aussitôt après le désir : ce fichu sentiment inavoué, avoué, inavouable. Fais comme si je n'avais rien dit ! Mais si, avant de s'enfuir et de se fuir, on essayait simplement de faire l'amour ? Si, en une seconde d'orgasme, dans un don entier de soi, on oubliait de cacher sa grimace sous les draps ?
Que sont-il devenus ?
Comme le spectre de la mort qui frappe à la porte au plus mauvais moment, l'ombre de la réalité a bousculé leur petite bulle. Leur relation n'aura duré d'après elle que trois ou quatre mois, six mois selon lui. Sans doute effrayés par la beauté atroce de ce qui leur arrivait, un Homme et une Femme ont décidé de ne plus se revoir : le sexuel devait rester sexuel, comme un idéal doit rester un idéal.
Quelques années plus tard, les interviews parallèles de ces tristes héros déchus amorcent le film comme un long flash-back. Et si les versions divergent quelque fois dans des détails faussement anodins, une même étincelle coquine puis aigre douce brille dans les yeux de l'un et l'autre. Au-delà des mots, de la confusion des sentiments et de la raison raisonnable, prétexte préféré de toute lâcheté, argument principal d'une fierté mal placée qui fait dire non à qui pense oui, tisse les noeuds des malentendus et piège les coeurs qui s'aiment.
Au fait, un idéal doit-il forcément rester un idéal ? Qu'est-ce qui oblige à se résoudre, voire à se contenter de savoir qu'il y a dans le flou de la masse anonyme un visage, une âme soeur, quelqu'un, quelque part ? Il aurait sans doute suffi d'un signe extérieur pour les rapprocher, avoue encore Sergi Lopez à la caméra qui, parce qu'elle comprend et partage cette désolante mais humaine pudeur, se garde bien de suppléer au destin... Sur la lancée de Max & Bobo qui scrutait il y a un an à peine l'horizon barré des amitiés, Frédéric Fonteyne et son scénariste attitré Philippe Blasband restent concentrés sur l'essentiel, et se plaisent à traquer, dans la jungle urbaine, les pantins moyens et leurs relations inattendues, faites de tendresse, d'humour et d'ironie (pas mal), de doute et de détresse, et d'impossibilité.