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Vents de sable, femmes de roc de Nathalie Borgers

Publié le 10/05/2010 par Anne Feuillère / Catégorie: Critique

Des femmes d’ailleurs vues par une femme d’ici

Baroudeuse, Nathalie Borgers a beaucoup voyagé (Belgique, Etats-Unis, France, Autriche…), et elle a cosigné plusieurs documentaires avant de réaliser deux films qui traitent de la place des femmes - ou de leur volonté et de leur difficulté d’en acquérir une - dans leur société, en Autriche et en France. Avec Vents de sable, la voilà donc partie cette fois au Niger pour réaliser le portrait de trois très belles femmes… de roc.

Vents de sable, femmes de roc de Nathalie Borgers

Dès la première séquence, qui précède même un générique très épuré, le film construit son opposition et prend parti. Un chamelon pleure sa mère, à terre, charogne en train de pourrir, et deux hommes viennent brutalement lui lier les pattes pour ne pas qu’il s’enfuie, lui donner à boire tout aussi brutalement. À la séquence suivante, Amina, l’une des trois femmes que le documentaire va suivre, prendra le parti des bêtes en demandant à ce qu’une chamelle énervée soit détachée.

Très documenté et très préparé, ce premier long métrage pour le cinéma suit une caravane composée uniquement de femmes Toubou et de leurs enfants, qui partent, comme chaque année à la même époque, à dos de chameaux avec quelques ânes et chèvres, traverser le désert pour aller récolter des dates dans un village à 1500 km de leurs camps. L’argent de cette récolte leur reviendra entièrement, et en propre. Un voyage comme une quête d’indépendance financière, et, plus largement, une quête de leur autonomie et de leurs rêves.
Si le désert impose ses dimensions au cadre, qui se resserre souvent sur les groupes ou les visages, le film ne prend pas pour autant un parti pris esthétisant. Le désert et le soleil y apparaissent dans leur couleur de plomb. Refusant aussi la forme de l’entretien propre au film ethnologique, capturant des moments, des gestes, des palabres et des confidences, Vents de sables réussit à saisir ces femmes dans leur environnement, dans leurs rapports aux groupes qu’elles forment, aux hommes et, plus généralement, à leur condition de femmes. Avec beaucoup de finesse et d’écoute, se voulant neutre et invisible, la caméra enregistre ces moments-clés où des intimités, en se dévoilant, désignent, par opposition ou, au contraire, par adéquation, les pans entiers d’une société qui les construit. Et le film, par touches successives, révèle un monde, sur le point de disparaître (du pétrole, des grandes compagnies internationales, la modernité… tout cela n’est pas loin.)
La progression de la caravane est scandée par les explications de Domagali, l’aînée, qui en a pris la tête, et qui, telle une conteuse, raconte la portée et les étapes du voyage. Des intertitres décomptent les jours. Une musique aérienne et étrange fait aussi basculer, par instants, les images dans une sorte d’atemporalité. Vents de sable prend ainsi doucement l’ampleur du mythe, mais sans jamais caricaturer la vie de ces femmes, rieuses et fortes dans un quotidien bien réel et aride.

Mais, à force de ne rien vouloir expliquer et de tout feuilleter, Vents de sable, intelligent et fin pourtant, frôle une certaine légèreté derrière laquelle la simplification abusive pointe le bout de son nez - et une sorte d’humanisme de bas étage un peu mièvre sur toutes les femmes du monde sœurs devant l’adversité… À force de croire en la fiction du documentaire (un observateur neutre et invisible), le film en vient aussi à manquer paradoxalement d’altérité. C’est que rien ne nous est donné à sentir et à voir de la confrontation entre la réalisatrice (et son équipe, sa technique, sa machinerie…) et ces femmes (qui rêvent d’électricité). Sauf cette séquence où elles font une pause dans la récolte devant la télévision, et se mettent à commenter le physique des femmes blanches à l’écran. Celles qu’on regarde nous regardent aussi. C’est une très belle séquence.

Sortie le 19 mai. Distribué par Cinéart.

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