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Mother's Instinct de Benoît Delhomme

Publié le 24/04/2024 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

Duelles au soleil

Deux somptueuses maisons voisines dans une riche banlieue ensoleillée américaine du début des années 60, séparées par une simple haie. Barbecues le week-end, pelouses impeccables… Deux couples, un enfant chacun, qui se fréquentent comme s’ils formaient une grande famille : Celine (Anne Hathaway) et Damian (Josh Charles) et leur fils de 10 ans, Max ; Alice (Jessica Chastain), Simon (Anders Danielsen Lie) et Theo, du même âge que son ami. Les deux mères de famille sont inséparables, leurs fils aussi. Mais la mort accidentelle de Max, qui chute du premier étage sous le regard d’Alice, arrivée trop tard pour le sauver, met un point final à ce bonheur idyllique...

Mother's Instinct de Benoît Delhomme

Les cinéphiles auront reconnu les prémices de Duelles (2018), le film d’Olivier Masset-Depasse lauréat de neuf Magritte, qui avait tant impressionné Jessica Chastain qu’elle décida d’en produire un remake via sa société Freckle Films. Si Masset-Depasse lui-même devait au départ revenir derrière la caméra, il a finalement cédé la place au chef opérateur Benoît Delhomme, qui réalise ainsi son premier film.

Pour le reste, cette seconde adaptation du roman Derrière la haine, de Barbara Abel, reste d’une fidélité absolue au film de 2018, que Cinergie décrivait à l’époque en ces termes : « Une enquête mentale où l’on perd totalement pied. Filmée en trompe-l’œil, la réalité est approchée comme une surface mouvante qui ne cesse de se dérober, une succession de certitudes qui tombent les unes après les autres, une accumulation de faux-semblants produisant un terrible jeu de dupes ». Une description qui s’applique toujours parfaitement à cette version 2, dont l’intérêt réside surtout dans l’interprétation de son quatuor central et dans sa peinture déchirante de deux familles parfaites dont le bonheur se délite rapidement, dont les secrets et les fêlures sont mis au grand jour, laissant finalement la haine détruire tout.

D’un côté, Celine, femme au foyer comblée, puis mère inconsolable, errant comme une âme en peine dans sa maison désormais trop calme. Ayant du mal à séparer son chagrin et sa culpabilité de n’avoir pas surveillé son fils au moment du drame, Celine rejette la faute sur son amie. Son seul répit consiste maintenant à passer du temps avec le fils de ses voisins, qui, en retour, s’attache à elle, car elle est plus maternelle que sa mère. Cette dernière, Alice, femme ambitieuse souffrant de « troubles mentaux » (les guillemets sont de mise, car elle rêve simplement d’émancipation), est frustrée par sa condition de simple femme au foyer. Alice est une mère trop stricte, dont la paranoïa vis-à-vis des intentions de sa meilleure amie va en grandissant. Son mari l’accuse d’ailleurs de perdre pied avec la réalité. Chaque scène réunissant Chastain et Hathaway après la mort de l’enfant est un monument de tension et de non-dits, le ressentiment de Celine envers Alice (qui aurait peut-être pu sauver l’enfant) s’avérant insurmontable. Quant aux hommes, comme dans Duelles, ils restent une fois de plus en retrait : Damian se réfugie dans l’alcool tandis que Simon cherche à tout relativiser.      

Entre conte cruel, drame psychologique, critique de la petite bourgeoisie américaine et thriller imprévisible (pour ceux, bien sûr, qui n’auraient pas vu Duelles), le récit, inchangé dans les grandes lignes, s’avère aussi prenant qu’en 2018. Moins stylisé et flamboyant que son aîné, Mother’s Instinct se concentre avant tout sur la confrontation spectaculaire entre deux ‘Oscar winners’ à leur sommet : Jessica Chastain, qui n’a plus à prouver depuis belle lurette qu’elle est l’actrice la plus exceptionnelle de sa génération, et Anne Hathaway, qui retrouve ici de sa superbe après quelques années de vaches maigres.

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