Cinergie.be

Angèle Vergoni et Sarah Vanhoeck, Presqu’îles

Publié le 09/05/2025 par Malko Douglas Tolley, Cyril Desmet et Vinnie Ky-Maka / Catégorie: Entrevue

Prix Cinergie à Anima pour un duo féminin qui propose une fable onirique sur l’acceptation de soi

Avec Presqu’îles, Angèle Vergoni et Sarah Vanhoeck, toutes deux issues de la Haute École Albert Jacquard, remportent le prix Cinergie.be au Festival Anima 2025. Ce court-métrage d’animation sensible et singulier nous emmène dans un monde imaginaire peuplé de petites créatures grognonnes et attachantes, où une femme, étrangère à cet univers, cherche sa place. À travers une esthétique douce aux accents d’aquarelle et une narration tout en subtilité, les réalisatrices questionnent la relation entre l’humain et son environnement. Le jury a salué la puissance du message écologique et la richesse visuelle du film, soulignant la volonté de repositionner l’humain comme un être parmi d’autres au sein de l’écosystème. Un film à la fois poétique, engagé et profondément humain.

Cinergie : Le film met en scène une femme géante sur une île avec des personnages miniatures. Le contraste de taille est-il une métaphore qui renvoie à la domination dans le monde?

Sarah Vanhoeck: Les jeux d’échelles étaient une inspiration dès le départ de notre film. L’idée n’était pas spécialement de mettre en avant une relation de domination entre les personnages. Ce qu’on veut raconter, c’est l’histoire d’une personne qui doit trouver sa place dans le monde. Grâce aux jeux d’échelles, on a créé un personnage très grand dans un univers tout petit. Et ensuite, cette personne réalise qu’elle est elle-même toute petite dans un univers beaucoup plus grand. Finalement, c'est dans l'eau qu'elle va trouver le lieu où elle peut s’épanouir et où elle n’embête personne.

Angèle Vergoni: En termes de défi technique, on a dû beaucoup réfléchir pour garder de la constance au niveau des rapports de taille entre l’île et le personnage. Et sinon on a adoré créer les petites bébêtes qui peuplent le lieu.

 

Cinergie.be : Quelle symbolique derrière la nudité de la femme et ces interactions avec ce micro-environnement ?

S. V.:  On ne donne pas de contexte sur ce qui se passe avant le début de l’histoire. C'est un choix volontaire et assumé qu'on aime beaucoup. On doit juste accepter ce qu’il se passe. On ne sait pas d'où vient la protagoniste ni son vécu. Lors de l’écriture avec Angèle, on imagine que le moment où elle ouvre les yeux correspond à sa naissance. C’est un peu comme si elle n’avait jamais existé auparavant et elle est donc là dans sa forme la plus naturelle. Ça aurait été très étrange de lui mettre des vêtements au vu du contexte. C'est pour ça qu'on a choisi la nudité et puis, on aime bien les madames toutes nues. 

A. V. : Sarah et moi-même, nous avons toutes les deux une philosophie d’acceptation du corps, de l’être vivant et de la nature. Un être humain, au naturel, il est tout nu. C’est quelque chose qu’on aime beaucoup. Et puis, en tant que femmes, les personnages féminins nous parlent beaucoup. On a eu assez rapidement l’envie de créer un personnage un peu rond plutôt qu’une femme aux proportions normées comme on en voit la plupart du temps dans la société. C’est Sarah qui a proposé cette petite madame et on est tombées amoureuses d’elle. Elle est trop belle. Elle a un beau sourire. Elle rigole. On l’adore.

 

C. : Que dire sur ce petit peuple miniature hyper amusant qui peuple cette île étrange ? 

S. V. : Ces petits personnages ont été pensés pour être drôles. C’est un petit peuple tout mignon, tout grognon, tout ronchon. Ils sont complètement inoffensifs. Ça nous a fait beaucoup rire lorsqu’on imaginait les interactions et les différentes scènes. Mais ils ont aussi permis de mettre en avant que cette madame arrive dans une communauté qui ne l’accepte pas, parce qu’elle est trop différente, trop maladroite. Elle prend trop d’espace, et ils le lui font bien sentir. Ce sont ces petits êtres rigolos qui montrent qu’elle dérange, qu’elle n’est pas acceptée parmi les autres. C’est ce rapport entre eux et l’héroïne qui met en avant l’idée du film : elle n’est pas à sa place, elle a du mal à se faire accepter. Et donc, ça mettait encore plus en lumière le fait qu’elle n’était pas là où elle devait être. En tout cas, elle dérangeait.

 

C. : Comment avez-vous imaginé le design de ces personnages, et qu’est-ce qui vous a inspiré pour les créer ?

A. V. : Sarah a fait pas mal de recherches pour imaginer ces petits bonhommes. Elle s’est inspirée de petites créatures en tissu, des sortes de marionnettes. On aimait bien cette idée de formes simples, justement pour que ce soit plus facile à fabriquer et à animer. Au début, je dois dire que je ne les aimais pas trop, moi, ces petits personnages. Je n’aimais pas trop les animer parce qu’ils étaient vraiment tout petits, avec des bras et des membres minuscules, donc je n’avais pas beaucoup de place pour m’exprimer dans l’animation.

 

C. : Comment avez-vous animé et conféré une personnalité à ces personnages miniatures ?

A. V. : Faire bouger ces petits personnages, au début, ce n’était pas évident. Mais je crois que c’est surtout quand Sarah a commencé à chercher leurs sons, leurs petites voix, leurs onomatopées, que j’ai commencé à vraiment les accepter. Et là, tout de suite, c’était beaucoup plus chouette de les animer. Le fait de savoir qu’ils allaient avoir ces petits sons rigolos, ça leur donnait une vraie personnalité, et ça rendait le travail beaucoup plus vivant et amusant.

S. V. : Au début, on n’avait pas accès à un micro. Dans un premier temps, il a fallu improviser avec des bruitages temporaires, juste pour poser les intentions sonores. Heureusement, grâce à l’école, on avait accès à une banque de sons. Donc je me suis mise à chercher un peu tout ce qui pouvait marcher. Et ce qui est assez rigolo, c’est que j’ai fini par trouver des sons dans un dossier… de zombies ! Il y en avait des très graves, bien sûr, mais parfois, au milieu des prises, les zombies faisaient juste des petits “grrr”, des grognements, des espèces de petits bruits bizarres… Et en les découpant, en isolant ces petits morceaux, ça donnait exactement les grommellements qu’on imaginait pour nos personnages. Et franchement, ça fonctionnait super bien avec leur attitude.

 

C. : Quelle importance du son dans un projet d’animation comme le vôtre ?

S. V. : Le son avait une vraie importance dans le projet. Nos professeurs nous l’ont beaucoup répété : dès les premières étapes, comme l’animatique, on devait déjà poser des intentions sonores, pour ne pas perdre une dimension essentielle du récit. Même si on n’était pas experts, on a fait au mieux avec les moyens qu’on avait, en sachant que le son joue un rôle clé dans l’ambiance et la compréhension de l’histoire.

A. V. : Au départ, la musique était la même du début à la fin et c’était trop monotone. On a vraiment fait évoluer cette partie pour rendre le film plus dynamique. C’était vraiment un aspect stressant de la réalisation.

 

C. : Comment décrivez-vous le style graphique que vous avez choisi pour le film ? En quoi ces choix servent-ils l’ambiance ou le propos de l’histoire ?

A. V. : Le style de dessin, pour l’ensemble du projet, a un rendu assez traditionnel. On sent clairement une inspiration de l’aquarelle, surtout dans les décors. C’est Sarah qui les a réalisés, et comme elle vient plutôt du milieu de la peinture, ça se ressent vraiment dans son travail. Du coup, pour que ça colle bien, j’ai aussi cherché une brush qui s’accordait avec cet univers. Et puis, on n’en a pas encore parlé, mais on avait un minutage assez serré pour faire le film. Après notre stage, on est revenues début avril, et on a complètement changé notre histoire. Il ne nous restait que deux mois pour tout faire.

C’est pour ça qu’on a fait le choix d’une animation assez brute, un peu "rough". En général, je ne repassais pas mes dessins à fond, c’étaient souvent mes premières animations qui restaient. On n’avait pas trop le luxe de refaire, donc ça donne aussi ce côté un peu crayonné, qui fait partie du style final.

 

C. : Quels outils ou logiciels avez-vous utilisés pour réaliser Presqu’îles ?  

S. V. : L’animation a été faite en traditionnel, ça se voit d’ailleurs tout de suite — ce n’est pas du cut-out. On a tout animé sur TVPaint, ce qui permettait de garder ce côté dessiné à la main. Les décors, eux, ont été principalement réalisés sur Procreate, et parfois retouchés sur Photoshop. C’est une combinaison d’outils numériques, mais avec un rendu très artisanal, très fait main.

 

C. : Après trois ans de formation, et avec ce projet que vous avez mené à bien, quel est le sentiment aujourd’hui ? Qu’est-ce qu’on fait après ça, quand on termine une aventure comme celle-là et qu’on se lance dans le monde de l’animation ?

A. V. : En ce qui me concerne, pour l’instant, je travaille sur un projet de microfilm chez Caméra Etc., l’endroit où j’avais fait mon stage. Du coup, c’est une belle continuité, et ça me donne envie de continuer dans la réalisation. J’ai envie de creuser encore plus cet aspect-là et de développer mes propres projets. Et donc oui, j’ai un projet de film avec eux, et en parallèle je travaille aussi comme animatrice rough dans un autre studio, sur un long métrage. J’aimerais bien continuer dans cette voie-là, bosser dans l’animation, vraiment en tant qu’animatrice.

S. V. :  Pour ma part, je suis actuellement en recherche d’emploi dans le milieu de l’animation aussi. Donc voilà, la suite logique après les études, c’est vraiment d’essayer de trouver un poste dans ce domaine-là, et de commencer à se faire une place dans le milieu. Perso, pour l’instant, je ne suis pas sur un projet d’animation. Je me concentre plutôt sur des projets de romans graphiques, donc je m’oriente un peu plus vers le milieu de l’édition. Mais finalement, ce sont deux secteurs qui sont plus proches qu’on ne le pense — ça reste de la narration visuelle, et c’est ça qui me passionne.

 

https://www.cinergie.be/actualites/presqu-iles-de-angele-vergoni-et-sarah-vanhoeck-2024

https://sarahvanhoeck.notion.site/Sarah-Vanhoeck-452bbb3e910c462ba01c8361099c26b3

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