Cinergie.be

Entretien avec Guido Convents pour l’Afrika Filmfestival du 1 au 16 octobre à Louvain

Publié le 20/09/2021 par Dimitra Bouras et Josué Lejeune / Catégorie: Événement

 Dans le panorama cinématographique et journalistique belge, on parle peu du cinéma africain. Or, ce cinéma mérite toute notre attention. En effet, la culture cinématographique africaine, en plein essor, vise à montrer ce continent qui est intrinsèquement lié au nôtre. Depuis sa première édition en 1996, l’Afrika Film Festival n’a eu de cesse de se diversifier non seulement pour mettre en lumière ce cinéma foisonnant mais aussi pour bousculer les idées reçues sur l’Afrique. L’envie des fondateurs, Guido Convents et Guido Huysmans, a toujours été de promouvoir la rencontre entre les spectateurs, de permettre la discussion et de changer les mentalités. Chaque année, des dizaines de films de réalisateurs africains ou non, offrant une autre vision de l’Afrique, sont montrés. Cet événement permet aux cinéastes, mais aussi aux acteurs et aux actrices d’acquérir une certaine reconnaissance leur permettant de poursuivre leur carrière. Par exemple, c’est l’actrice Bwanga Pilipili qui est mise à l’honneur sur l’affiche de cette édition. À côté des projections, l’Afrika Film Festival organise aussi des débats, des conférences, des expositions, des sessions de cinéma interactives, des spectacles, des défilés de mode, etc.

 
Entretien avec Guido Convents pour l’Afrika Filmfestival du 1 au 16 octobre à Louvain

Cinergie : D’où te vient cet intérêt pour le cinéma africain ?

Guido Convents : Cela remonte à très loin. Quand j’étais jeune, j’étais dans une petite école paroissiale dans un village du Limbourg où il y avait quelques missionnaires qui étaient admirés par tout le village. Il y en avait un au Congo et un au Chili et quand ils revenaient, ils apportaient des films qu’ils avaient faits eux-mêmes. Je voyais des images du Chili, du Congo et ils ont aussi filmé notre école pour la montrer à leurs élèves ailleurs. À partir de 1960, j’étais en primaire et il y avait quelques élèves, après l’indépendance du Congo, qui sont arrivés dans ma classe. Cela signifie que dans notre petit village, il y avait des gens qui travaillaient au Congo, au Rwanda et au Burundi. Les mercredis après-midi quand il faisait mauvais, on allait chez eux pour voir des films de famille qu’ils avaient réalisés au Congo, pays que je découvrais à travers leurs images.

En humanités, j’étais aussi dans un collège catholique avec des missionnaires qui venaient aussi avec leurs propres films. En 1972 – 1974, je connaissais tous les fleuves du Congo grâce à leurs images. Mais, quand je suis allé à l’université, c’était tout de suite très différent. J’étais un des seuls Flamands qui restait 3 ou 4 semaines à Louvain. Tous les samedis et dimanches, j’étais dans le cercle des étrangers avec des Congolais, des Sénégalais, des Algériens. Ils faisaient des commentaires sur la politique belge en Afrique. Je côtoyais aussi des étudiants réfugiés qui venaient du Brésil, d’Argentine, du Chili qui fuyaient les dictatures. J’étais avec eux, on regardait la télévision et ils se mettaient à hurler quand ils entendaient les explications de nos politiciens belges. Pour eux, c’étaient des mensonges. Ils m’expliquaient de manière critique la situation et me donnaient leur version de la colonisation.

À cette époque a été créé Bevrijdingsfilms (Libération Films) et De Andere cinema (L’Autre Cinéma) avec qui on montrait des films critiques sur l’Angola et la guerre là-bas. Au fur et à mesure qu'on montrait ces films, j’ai eu des problèmes avec mes professeurs car pour eux, on était des communistes, des subversifs, des anarchistes. Pour moi, le comble, c’est le film de Christian Mesnil : Du Zaïre au Congo. J’avais invité pour la projection les professeurs d’histoire contemporaine, les anthropologues qui ne voulaient pas venir car ils disaient que c’étaient des fake news !

Quand j’ai fait mon mémoire sur le cinéma à Louvain avant 1918, j’ai vu qu’entre 1908 et 1911, il y avait des films du Congo sur les écrans à Louvain. Ces films n’étaient pas de simples prises de vue. Ils étaient financés par les grandes finances comme Albert Thys ou par le roi. C’étaient des films pour convaincre les Belges que la colonisation, c’était bien pour les Belges. Là, j’ai vu le système de cette propagande coloniale et j’ai commencé à chercher tous ces films coloniaux, en Allemagne et ailleurs. J’étais invité dans les festivals, à l’Institut Jean Vigo à Perpignan, pour montrer des films coloniaux à côté de films de jeunes Africains comme ceux de Jean-Marie Teno. On expliquait la situation en confrontant les films.

En 1984, j’étais à Perpignan pour parler du cinéma colonial belge. Il y avait 500-600 spectateurs, on a annoncé un invité belge qui venait parler du cinéma colonial en Belgique mais une deuxième personne s’est levée, c’était le professeur Victor Bachy. Mais, l’animateur de la soirée a dit que c’était moi qu’on voulait. Quand on est sorti, Bachy, furieux, m’a dit que ce que j’avais dit était nul et que c’était lui l’expert. On s’est disputé dans le couloir. Le lendemain, à 9 heures, son épouse est venue dans ma chambre d’hôtel pour me dire que le professeur Bachy voulait me voir. Il avait réfléchi à propos de ce que j’avais dit la veille, et il m’a proposé de faire un petit livre avec tout ce que j’avais dit pour qu’il le publie.

J’ai commencé à écrire des livres pour montrer qu’en Afrique, il y avait une culture du cinéma. Ce n’était pas seulement du cinéma colonial, ils voyaient aussi des films du néoréalisme italien, des films américains. À partir de 1950, les Américains ont voulu que partout dans les colonies, en France et en Belgique, les autochtones aient accès à leurs films.  

 

C. : Le cinéma apparaît ici comme un outil d’émancipation, mais il faut les moyens, la structure qui puisse suivre.

G. C. : Au Mozambique, il y avait une trentaine de salles de cinéma avant l’indépendance. Dans certains quartiers des grandes villes, il y avait des grandes salles où on montrait des films indiens, des films de kung-fu, etc. Récemment, quand je suis allé au Mozambique, il y avait 3000 petites salles pour pouvoir voir des films sur DVD pour un cent par personne. Souvent, la culture cinématographique de certains Africains est plus grande que celle des gens qui peuvent aller dans les salles de cinéma ici car ils voient une plus grande diversité de films.

 

C. : Tu t’es rendu compte que ce cinéma africain existait, que c’était vraiment une partie importante de l’émancipation politique et culturelle de l’Afrique mais pourquoi ce festival a-t-il lieu à Louvain ?

G. C. : En 1972, Bevrijdingsfilms avait son siège à Louvain. Son fondateur était un ancien missionnaire dégoûté de l’église au Chili et en Bolivie. Il voulait qu’on montre des films faits par des peuples autochtones d’Amérique latine et d’Afrique. Après, il y a eu De Andere cinema, une organisation socialiste laïque très critique implantée à l’université de Louvain où on montrait des films anti-impéralistes. En 1996, il y a eu à Louvain la grande foire « Vierkant voor Afrika - Carrément pour l’Afrique » où se réunissaient toutes les ONG de la Flandre agissant pour l’Afrique, il y avait 20 000 à 30 000 personnes réunies ce week-end-là pour parler de l’Afrique et des actions des ONG là-bas. Mon collègue décédé aujourd’hui, Guido Huysmans, qui organisait cette foire était en colère en entendant ces ONG parler des problèmes en Afrique et de leur résolution mais il n’y avait aucun Africain pour expliquer la situation. Ils étaient là comme des éléments de décor, pour faire du djembé, pour vendre des bracelets mais ils n’avaient pas droit à la parole.

On voulait qu’ils donnent leur vision des choses. On a montré le film de Bassek Ba Kobhio sur Albert Schweitzer (Le Grand Blanc de Lambaréné, 1995) pour dématérialiser ce mythe, on a invité d’autres Africains comme Med Hondo pour qu’ils expliquent la situation. Dans la salle, il y avait le gouverneur du Brabant flamand. On a reçu une première aide de sa part, on a invité à Louvain Med Hondo, Ousmane Sembene et on a discuté pendant des heures pour organiser un festival qui respectait les Africains. On a fondé notre festival en essayant de rendre hommage aux Africains sans tomber dans les pièges habituels.

On veut que les gens voient des films qui les émeuvent et qui déconstruisent les stéréotypes. Certains réalisateurs ne voulaient pas envoyer leur film dans notre festival car ils ne voulaient pas être ghettoïsés. Quand j’écris un livre sur le Rwanda, le Burundi, le Congo, je connais toutes les personnes que je mentionne dans le livre. Je me suis spécialisé, je fais un effort pour les voir.

 

C. : Comment fais-tu ta sélection ? Tu peux voir les films dans d’autres festivals en Afrique ou ailleurs ?

G. C. : Depuis 3-4 ans, on reçoit entre 2500 et 3000 films. On a heureusement un collègue pensionné qui fait le premier tri de 300-400 films qu’on visionne avec le comité. En plus, on va voir aussi des films ailleurs, au Portugal par exemple. Cette année, j’ai eu des contacts avec Afro Brasil et j’ai aussi une sensibilité pour le cinéma afro-latino-américain.

 

C. : Comment va se dérouler la prochaine édition du festival qui se tiendra du 1 au 16 octobre ?

G. C. : On a proposé une version hybride l’année dernière, mais pas cette année parce que notre but est que les gens se rencontrent. On veut montrer les films en salle. On veut que les Népalais, les Latinos et les Africains se rencontrent. On ne fait pas un festival pour les Africains. À Louvain, il y a 170 nationalités différentes. Les stéréotypes des Chinois, des Kurdes, des Syriens à l’égard des Africains peuvent être très insultants ! On organise un festival socioculturel pour que les gens se voient, s’entendent. La culture coloniale, le racisme sont bien ancrés.

 

C. : Le festival aura lieu un peu partout, il y a des films mais il y a aussi d’autres événements ?

G. C. : On a une conférence le 1er octobre sur les artistes afro belges et la diaspora « Humanizing art, culture and media ». Pourquoi font-ils de l’art ? Ils font de l’art mais ils ne font pas partie de notre paysage culturel belge. Pourquoi ne sont-ils pas considérés comme des artistes belges ? Quels sont les mécanismes mis en œuvre pour améliorer cette situation ? Depuis dix ans, on donne aussi un artist award à des jeunes talents entre 20 et 30 ans pour qu’ils reçoivent un coup de pouce pour être reconnus. On leur permet de faire un concert ou une exposition. On a aussi un fashion show où l’on invite des designers africains pour qu’ils montrent leur travail à Louvain et pour rencontrer des designers africains qui habitent en Belgique. Les défilés sont faits par des Polonais, des Africains, des Belges. C’est toujours intéressant à voir.

 

C. : C’est une énorme organisation : la sélection des films et les événements liés.

G. C. : Au début, les autres festivals ne nous prenaient pas au sérieux. Il y a 20 ans, on projetait des films dans les quartiers où les stéréotypes sont les plus grands. Ces spectateurs n’avaient pas l’habitude de voir ce type de films. On fait ça aussi dans une trentaine de villages flamands. On compte 300 à 400 volontaires. C’est très facile de sélectionner un film mais ce n’est pas facile d’avoir le public qui va voir le film. Si c’est un film dont personne ne connait le nom, le réalisateur, les acteurs, c’est difficile de le faire voir.

Notre politique, c’est de travailler toute l’année avec les quartiers défavorisés, avec les écoles pour créer notre public dans l’avenir. On veut changer les mentalités pour que ces personnes viennent voir les films.

Au départ, on avait 200 spectateurs. Aujourd’hui, on en a 15 000. On est aussi au Luxembourg, aux Pays-Bas. Beaucoup de jeunes qui travaillent pour nous nous quittent pour une situation plus stable car on est un festival peut-être moins prestigieux. Certaines organisations viennent chercher les jeunes chez nous car ils savent qu’ils sont multifonctionnels.

 

Tout à propos de: