Cinergie.be

OGRE, d’Arnaud Malherbe

Publié le 31/08/2022 par Grégory Cavinato / Catégorie: Sortie DVD

Au Bout du Conte

Pour fuir un mari violent et prendre un nouveau départ, Chloé (Ana Girardot) vient s’installer avec son fils Jules (Giovanni Pucci) dans un village reculé du Morvan où elle devient la nouvelle institutrice. L’accueil est pour le moins glacial : le maire explique à Chloé que le village est pratiquement à l’abandon depuis la disparition mystérieuse d’un enfant, probablement emmené par un loup qui rôde dans la forêt et qui décime le bétail des paysans.

OGRE, d’Arnaud Malherbe <br />

Malentendant et introverti, le petit Jules porte en permanence un appareil auditif qu’il éteint souvent pour ne pas entendre les conversations des adultes. Harcelé et ridiculisé par ses camarades de classe en raison de son handicap, Jules se réfugie dans un univers imaginaire. Reste à savoir si ce monde est si imaginaire que ça ou s’il n’est que le triste résultat des coups reçus et des troubles mentaux grandissant ! Fervent lecteur de mangas qui stimulent son imagination, Jules ressent, dès son arrivée dans sa nouvelle maison, à l’orée d’une immense forêt, la présence d’une créature monstrueuse qui l’observe et lui rend des visites nocturnes. Ce ténébreux médecin (Samuel Jouy) qui séduit sa maman, lui vole l’affection de cette dernière et l’encourage à mieux manger pour lui faire prendre du poids ne serait-il pas un ogre déterminé à le dévorer ? Le responsable de tous les maux du village ?

Pour son premier film, Arnaud Malherbe, découvert à la télévision avec les séries Chefs et Moloch, joue brillamment, dans un numéro d’équilibrisme très réussi, sur la notion constante d’ambiguïté en adoptant le point de vue d’un narrateur peu fiable : un enfant à l’imagination débordante, victime de violences et désormais incapable de faire confiance au moindre adulte hormis sa maman. Impossible, par ailleurs, pour cette mère courageuse, qui fait de son mieux pour faire oublier le passé à son fils tout en se reconstruisant elle-même, de croire à ces sornettes dignes d’un célèbre conte de Perrault. Habile, la narration bifurque vers une histoire de malédiction villageoise dont la nature pourrait tout aussi bien être surnaturelle que relevant du banal et tragique fait divers.

Afin de visualiser l’univers des cauchemars de l’enfant, Malberhe convoque de grandes figures du cinéma fantastico-horrifique : créature décharnée apparaissant dans le noir une fois la lampe de chevet éteinte, cadre rural charmant le jour et menaçant la nuit, villageois lâches et superstitieux, promenades nocturnes dans une forêt touffue… Avec une paranoïa allant crescendo et des effets spéciaux réussis, le réalisateur crée une poignée de scènes faisant monter le trouillomètre au maximum, notamment grâce à sa maîtrise des effets sonores (un reniflement innocent devient, par le filtre de l’appareil auditif du gamin, un infernal grognement animal). Parfois, ce sont les effets les plus simples, ceux qui jouent sur des peurs ancestrales qui sont les plus efficaces : ainsi, cette scène où Chloé, tard le soir, contemple le vertigineux vide des ténèbres qui encerclent sa maison fait réellement froid dans le dos !

Nous laissant dans l’incertitude jusqu’à un climax éprouvant et poétique que n’aurait pas renié Stephen King, Ogre, qui partage un certain nombre de similitudes thématiques avec le récent et déchirant Black Phone (de Scott Derrickson), vient nous rassurer quant à la santé du cinéma de genre francophone, éternel grand malade sous perfusion auquel une poignée de cinéastes doués (des cadors comme Du Welz, Laugier, Ducournau et Aja, mais aussi des artisans prometteurs comme Mathieu Turi, Zoé Wittock, Yann Gozlan, Vincent Paronnaud et maintenant Arnaud Malherbe), en le prenant au sérieux et au premier degré, offrent une encourageante rémission.

Tout à propos de: