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Out of Frame de Monique Marnette

Publié le 15/01/2015 par Anne Feuillère / Catégorie: Critique

Le prix à payer pour être vu

Monique Marnette, directrice de production chez Man's Films, avait déjà réalisé un petit court métrage Ashes to Ashes, un plan séquence de trois minutes, dans des bureaux totalement désertés où ne survivaient plus que des machines, téléphones, imprimantes, photocopieuses, personnages de Sims abandonnés dans leur jeux vidéos, condamnés à refaire toujours les mêmes gestes et répéter les mêmes borborygmes. Jusqu'à ce que la caméra se penche à l'extérieur, de l'autre côté des murs. On vous tait la chute... Dans son noir et blanc presque surexposé, ce tout petit film construisait une ambiance étrange de fin du monde et posait, sur le monde du travail, un regard vif, acéré et non dénué d'humour. Avec Out of Frame, son second court métrage, Monique Marnette explore à nouveau l'univers d'un travailleur, sur le mode de l'inquiétante étrangeté encore et toujours avec une jolie pointe d'humour, celle qui sauve la dignité dans le désespoir.  

Out of Frame de Monique MarnetteMichel est gardien de musée. Sa vie se déroule selon des lignes toutes tracées que la caméra de Monique Marnette construit en angle droit. Fluide en travelling, suspendue derrière son personnage ou installée selon des cadrages fixes qui jouent à redéployer les lignes et les cadres dans des mises en abyme sans fin, la caméra dévoile un univers gris, froid, à peine transpercé par un instant fugace de rayons de soleil, un univers qui laisse hors cadre les toiles du musée pour suivre Michel dans son quotidien terne et morne. Dans la répétition chaque jour des mêmes scènes, des mêmes gestes, Michel évolue comme un robot. Silencieux, lent, presque inexpressif, il ne montre que devoir, ennui résolu, tristesse dans la vacuité d'une vie solitaire, déroulée comme du papier à musique.

Epuré, très maîtrisé, Out of Frame fait planer une atmosphère mélancolique (qui doit beaucoup à la douceur grave et mutique de son comédien principal, Georges Siatidis) sur cette vie décharnée que quelques sons, la répétition, deux trois indices viennent troubler d'une inquiétante étrangeté. Gardien de musée, donc, Michel est celui qui est assis au milieu des toiles, celui que le regard survole, qu'on ne voit pas, le vivant plus mort que les toiles inanimées qu'il doit surveiller. Jusqu'à ce que, par un retournement digne des photographies les plus célèbres de Duane Michals, Michel, qui était hors cadre, se retrouve plein cadre, avalé en quelque sorte par sa propre vie, si confondu avec son travail qu'il s'y est figé jusqu'à l'extrême. Mais ce passage de l'invisible au visible passe par une certaine mort, celle à laquelle l'image condamne irrémédiablement, puisqu'elle fixe à jamais le temps vivant dans l'instant arrêté de la prise. Et la boucle est bouclée : agoniser de n'être pas vu vaut autant que mourir d'être vu. Réflexion sur le cinéma et l'image, Out of Frame, avec beaucoup d'habileté, une certaine tendresse et une pointe d'humour, interroge la vacuité de notre monde contemporain qui privilégie à un hors champ bien vivant, mais qui agonise de rester dans l'ombre, un plein cadre bien visible qui épingle à jamais. 

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