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Brendan et le secret de Kells : l’Irlande s’invite à Bruxelles

Publié le 07/06/2007 par Dimitra Bouras et Katia Bayer / Catégorie: Dossier

Brendan et le secret de Kells est un long métrage d’animation européen à caractère familial. Basé sur le Livre de Kells, vestige irlandais du Moyen-Age admiré pour ses enluminures exceptionnelles, ce projet a été conçu par un Irlandais (Tom Moore, déjà auteur de plusieurs courts remarqués) et co-produit par l’Irlande, la France et la Belgique. Chez nous, vingt minutes sont en cours de réalisation au studio d’animation Walking The Dog, et la colorisation a été confiée au studio de post-production Digital Graphics. Rencontre avec la productrice belge, Viviane Vanfleteren (Vivi Film), Toon Roebben (responsable 3D - Walking the dog) et Marie-Laure Guisset (superviseuse 2D).

 

Cinergie : Pourriez-vous nous décrire votre parcours ainsi que les raisons qui vous ont amenée à travailler dans la production ?
Viviane Vanfleteren : Mon parcours n’est pas vraiment linéaire puisque j’ai une formation d’architecte d’intérieur. J’ai réalisé mes premiers pas dans le cinéma en tant qu’assistante Art Director sur un long métrage de fiction. J’y ai rencontré quelques copains avec lesquels j’ai créé une société qui s’appelait à l’époque Pandora Production, avec laquelle nous avons produit des courts métrages de fiction. Ensuite, j’ai essentiellement fait des documentaires. En 98, j’ai commencé la co-production des Triplettes de Belleville, ce qui m’a tout de même pris cinq ans. Le film est sorti en 2003 avec le succès qu’on lui connaît. Depuis lors, je travaille essentiellement sur des longs métrages et des séries télés d’animation, même si, actuellement, je prépare la production d’un long métrage de fiction.

C. : Est-ce que vous pourriez nous parler de l’histoire de Brendan et le secret de Kells et de son réalisateur, Tom Moore ?
V.F. : Il s’agit du premier long métrage de Tom Moore. Il a fait quelques courts métrages de fin d’études et quelques publicités. Il m’a convaincu par son style, son graphisme et l’histoire qu’il a voulu raconter. Brendan et le secret de Kells raconte l’histoire d’un orphelin de 12 ans qui vit dans une abbaye au milieu de la forêt et qui se découvre une passion pour les livres enluminés. Il rencontre des moines très drôles qui viennent des quatre coins du monde : il y a un Chinois, un Africain, un Russe, un Irlandais et un Français. Le Français, c’est Frère Jacques et il ressemble étonnement à Didier Brunner, le coproducteur du film !
L’histoire est inspirée du vrai livre de Kells qui se trouve au Trinity College à Dublin et qui est protégé par l'Unesco. Plein de mythes l’entourent : on sait qu’il vient du Moyen-Age, mais on ignore son origine. Le style du film est vraiment européen. On s’est basé sur les dessins du livre d’origine. Ils sont assez plats parce qu’à l’époque, on ne connaissait pas encore la perspective. On a respecté cela : tous nos décors sont plats, et il n’y a pas de perspective dans nos décors. Ce qui donne un air très mystérieux, très bizarre et, en même temps, très beau au film.

C. : Comment vous êtes-vous retrouvée impliquée dans ce projet ?
V.F. : Brendan et le secret de Kells est la suite automatique des Triplettes de Belleville puisqu’il s’agit une nouvelle fois d’une coproduction avec Les Armateurs. Didier Brunner était en contact avec les Irlandais (The Cartoon Saloon) qui étaient demandeurs pour une coproduction. Didier m’a annoncé qu’ils avaient besoin d’un partenaire belge et m’a demandé si je pouvais coproduire le film. Je me suis immédiatement mise au travail et j’ai pu trouver 36% du financement du film en Belgique. La France participe aussi à hauteur de 36 % et le reste du financement a été trouvé en Irlande. De plus, sur Brendan et le secret de Kells, on réalise 20 minutes d’animation dans le studio Walking The Dog ici, à Bruxelles. Cela concerne les séquences les plus importantes, celles qui ont recours au compositing (assemblage de la 2D et de la 3D). Sinon, toute la colorisation du film se fait à Digital Graphics, à Liège. La Belgique s’est vraiment fort impliquée artistiquement.

C. : Il semblerait que les coproductions en animation soient devenues assez fréquentes.
V.F. : Ce qui a beaucoup changé, c’est qu’avant, la France n’avait pas vraiment besoin de mettre en place des coproductions. Mais récemment, les producteurs français se sont aperçus qu’ils n’avaient plus assez de financements et ils ont donc été obligés, surtout en animation, de trouver des partenaires à l’étranger. Donc, les coproductions sont presque devenues une évidence mais ce qui n’est pas toujours facile, c’est que chaque pays a sa propre façon de fonctionner. Et comme nous avons voulu faire un film européen, avec des coproductions européennes, la principale difficulté venait du fait qu'Eurimage exige que chaque pays ait une partie du travail à réaliser. De plus, en Belgique, nous avons obtenu le soutien financier de Wallimage, de Promimage, du Fonds flamand et de la Communauté française de Belgique. Et eux aussi demandent, et c’est logique, que nous dépensions l’argent dans leur région. Donc, ça a donné lieu à un véritable casse-tête ! Mais nous avons finalement réussi à diviser le travail et à faire en sorte que chaque studio soit spécialisé dans la tâche qui lui est impartie.

C. : Quelle(s) répercussion(s) cela a-t-il eu sur le processus créatif ?
V.F. : Les coproductions ont toujours existé, mais ce qui est nouveau, c’est que plusieurs studios délocalisés travaillent sur un même film. Dans ce cas-ci, le réalisateur se trouve en Irlande. Il y a fait 20 minutes d’animation. Nous avons également réalisé 20 minutes d’animation et la colorisation du film se fait chez Digital Graphics. 35 minutes vont se faire en Hongrie dans les studios Kecskemet. Le background et sa colorisation se font à Angoulême dans les studios Spirit. Enfin, une autre partie du travail devra encore se faire au Brésil. Ça fait tout de même beaucoup de studios qui travaillent ensemble et ça, c’est plutôt inédit !

C. : Quel est l'état d'avancement du projet?
Marie-Laure Guisset : Nous avons commencé à animer en octobre 2006. Nous avons réalisé le tiers : on a 20 minutes à animer et on en a fait 5 ou 6 jusqu'à présent. On essaye d'attribuer un personnage par animateur comme ça chacun lui donne sa personnalité. Par exemple, Eve est en train d'animer un personnage. Elle s'occupe des poses clés; elle dessine les 4 à 6 dessins par seconde qui forment les poses clés d'une séquence. On fait les poses clés ici dans le studio de Bruxelles puis on les envoie au Brésil pour qu'ils fassent les intervalles et le trait final. Avec la main droite, on dessine et avec la main gauche, on flippe [on anime en faisant tourner les pages rapidement]. On utilise autant les deux mains : on dessine, on flippe, on dessine, on flippe... Et en flippant, on voit directement le mouvement.

C. : Du point de vue de la production, est-ce la première fois que vous travaillez de cette façon ?
V.F. : Pas tout à fait. La première fois que j’ai expérimenté cette manière de travailler, c’était sur Les Triplettes de Belleville. Le studio et les réalisateurs se trouvaient au Canada. Nos animateurs ne voulaient pas passer un ou deux ans à Montréal donc, j’ai dû faire du forcing pour avoir une partie du travail ici. Les réalisateurs ont accepté de nous confier la séquence du début : elle était plutôt cartoon, et n’avait rien à voir avec le reste du film. Ils ont été tellement contents du résultat qu’ils nous ont proposé plus de travail. Nous avons finalement réalisé 15 minutes d’animation en Belgique au lieu des 3 minutes prévues au départ. Le film comporte plusieurs séquences différentes : celle du Tour de France, celle des Américains enrobés, celle des foules… C’est donc la preuve qu’il est tout à fait envisageable de travailler de cette manière-là…

C. : Travailler à des distances aussi grandes doit impliquer une organisation particulière…
Toon Roebben : Nous sommes effectivement obligés de travailler avec des outils de production appropriés. Nous avons notamment un logiciel qui permet de relier tous les studios sur un seul serveur avec des lignes à haut débit. En réalité, grâce à ce logiciel, le réalisateur a un contrôle presque direct sur tout ce qui se fait dans les studios.

C. : On imagine que la difficulté principale doit être de conserver, tout au long du processus, une cohérence graphique…
M.-L. G. : Effectivement. Entre studios, on a un cahier de charges techniques énorme mais très bien détaillé. Chaque animateur sait parfaitement de quelle manière il doit travailler. Généralement, chacun a un personnage attitré. De cette manière, il peut lui transmettre un peu de sa personnalité, et on évite un maximum les incohérences. Dans le cas du personnage de Brendan, étant donné qu’il s’agit du héros, il est plus complexe à animer. Plusieurs animateurs travaillent dessus et se basent sur des indications livrées par le réalisateur (expressions faciales, couleurs à utiliser, …) pour ne pas dévier des attentes originales. En ce qui concerne la 3D et la colorisation, c’est plus simple parce tout se fait en Belgique.

C. : Le secteur de l’animation serait-il frappé du « label qualité » en Belgique ?
V.F. : Nous sommes connus mondialement pour nos qualités et pour nos talents au niveau de la 2D et de la 3D. Vu le boom de l’animation, nous sommes de plus en plus sollicités pour financer des projets internationaux mais il est dommage qu’il n’y ait pas assez d’argent disponible. Je dois refuser pas mal de très bons projets internationaux parce que nous n’avons pas les moyens de les coproduire.

C’est fréquent : quand une production se termine, les animateurs me demandent s’il y a un autre projet sur lequel ils pourraient enchaîner. Je suis obligée de leur dire : « Non, pas tout de suite, peut-être dans un an ». C’est dommage, parce qu’avec les talents que nous avons ici, avec tout l’héritage accumulé, on pourrait fort bien avoir une société dans laquelle 20 ou 30 personnes travailleraient à temps plein sur des projets de qualité…

 

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