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Viviane Vanfleteren, productrice chez Vivi Film

Publié le 22/04/2024 par Kevin Giraud et Cyril Desmet / Catégorie: Entrevue

Viviane Vanfleteren : le “pitbull” méconnu du cinéma d’animation en Belgique

 

Dans les allées du Palais des Congrès, à Bordeaux, tout le monde connaît la productrice belge Viviane Vanfleteren. Depuis Les Triplettes de Belleville et Brendan et le Secret de Kells (pour lequel nous l’avions rencontré en 2007), sa renommée internationale a continué à croître, malgré un manque de reconnaissance en Belgique. Nul n’est prophète en son pays? Cela ne l’empêche en tout cas pas de continuer à porter des films de plus en plus ambitieux, entre coproductions internationales et belges majoritaires, grâce à une ingénieuse structure de production. Rencontre, entre deux présentations dans cette grand-messe du cinéma d’animation qu’est le Cartoon Movie.

Cinergie : Depuis notre dernière interview, en 2007, comment votre métier et votre société de production, Vivi Film, ont-ils évolué?

Viviane Vanfleteren : Brendan et le Secret de Kells, c’est vraiment le film qui m’a fait franchir un cap dans l’animation, et qui m’a donné une reconnaissance internationale. Je suis aujourd’hui plus connue à l’étranger qu’en Belgique [rires], mais ce n’est pas grave, car j’adore ce que je fais. Après ce succès, j’ai fait d’autres coproductions, mais je me suis vite rendu compte que ne pas avoir mon propre studio, en tant que productrice, c’était dommageable. En 2016, j’ai donc fondé Studio Souza avec un collègue, après quelques projets de courts métrages en pop-up studio. Depuis lors, les productions s’enchaînent. Pas sans difficultés bien sûr, mais avec la production de Titina en 2019 qui a été intégralement réalisé chez nous, nous avons pu passer un nouveau cap. Nous avons créé, après la fin de cette production, un autre studio à Gand, Creature, ce qui nous permet d’avoir plus d’argent en financement des différentes régions aujourd’hui. Le défi, c’est d'optimiser les financements en Belgique, et ici sur notre prochain projet, Valemon, nous travaillons dans les trois régions avec l’aide de Wallimage, du Tax shelter, du VAF, la RTBF et aussi Eurimages. Je ne crois pas que ça se soit souvent vu qu’une productrice obtienne ces aides cumulées, et c’est plutôt un succès pour le film.

 

C. : Comment cela se fait-il que vous soyez la première?

V.V. : J’ai toujours aimé prendre des risques, mais des risques bien calculés. Et je crois que j’ose mettre ma tête en dessous de la guillotine. Cela dit, il faut aussi s’entourer des bonnes personnes, on ne le fait pas seule. J’ai une bonne équipe, qu’on construit petit à petit. Sur Titina, nous n’avions que deux régions, et j’ai vu que les animateurs ont animé pendant presque quatorze mois, et qu’ils étaient très fatigués à la fin, voire physiquement impactés par ce tournage. J’ai donc décidé qu’on devait raccourcir le temps de production et agrandir l’équipe, ce qui n’était possible selon moi qu’en prenant un troisième studio. C’est ce que nous avons mis en place sur Valemon, et cela semble bien fonctionner.

 

C. : Nous nous rencontrons au Cartoon Movie, à Bordeaux, en quoi cet événement professionnel est important pour vous ?

V.V. : Cela fait des années que je viens ici, et ce pour deux raisons. D’abord pour rester au courant de ce qui se passe dans notre métier, autant en termes de productions que de tendances du marché. Ensuite, comme c’est le cas cette année, pour présenter des projets et pour recevoir du feed-back. Dans le cas de Valemon, nous sommes ici pour la vente, avec l’aide de notre vendeur.euse international.e, qui se charge du suivi post-présentation. Le film avait déjà été présenté il y a deux ans en développement, et c’est très agréable de voir l’évolution et recevoir les retours de nos pairs. Cartoon, c’est également l’occasion de développer des collaborations internationales, qui nous permettent ensuite de co-développer les projets et d’aller chercher des soutiens MEDIA qui nécessitent au minimum un autre pays européen en coproduction.

 

C. : Est-ce envisageable, aujourd’hui en Europe, de produire un film sans coproduction internationale?

V.V. :  Pas pour la Belgique, à mon avis. À moins de faire un petit film, mais en animation, c’est très compliqué, même en coproduction. Si on le fait tout seul, cela prendra au moins cinq ans et c’est presque impayable. Mais certains pays comme la France ou l’Allemagne peuvent se le permettre, parce qu’ils ont des chaînes qui mettent beaucoup d’argent, ou parce qu’ils ont leur propre système de défiscalisation. Cela ne veut pas dire qu’ils ne font pas d’outsourcing dans d’autres pays, afin de diminuer leurs coûts, mais ce n’est pas en tout cas quelque chose qui est possible aujourd’hui en Belgique.

 

C. : Vous produisez des longs métrages, mais Vivi Film produit également des séries aujourd’hui? Est-ce une envie, ou plutôt une réponse à un besoin?

V.V. : Il y a quelques années, nous avons commencé à développer des séries. Nous avions même reçu de l’aide au développement, le soutien des chaînes… Mais la grosse difficulté, c’est que le financement n’est pas suffisant pour pouvoir développer de tels projets. J’adore les séries, et j’aimerais pouvoir en faire plus, mais nous n’avons pas réussi à tout financer en interne. Désormais, nous faisons des coproductions, et là c’est plus facile. Cela nous permet également de développer de nouveaux partenariats, d’apprendre la manière dont ces projets sont financés à l’étranger. Donc je ne le fais pas par nécessité, mais plutôt parce que cette production me plaît. C’est d’ailleurs le cas également pour le court métrage, même si c’est plus rare. Il y a certains projets qu’on ne peut simplement pas refuser.

 

C. : Au-delà de Valemon, quelles sont les autres productions qui arrivent prochainement?

V.V. : Nous avons notamment Upside Down the River, une série de huit fois 22 minutes produite avec Dandelooo en France, qui devrait être sur la RTBF d’ici la fin d’année. Nous débutons également la production d’une autre série, La Quête d’Ewilan, avec Andarta Pictures, et enfin deux courts métrages sont également en préproduction, ainsi que plusieurs longs métrages en 2D ou en 3D, à différents stades de développement. Et nous sommes aussi présents au Cartoon Movie pour trouver d’autres projets intéressants sur lesquels on pourrait aider dans le montage du financement et dans la production.

 

C. : Vous disiez que votre notoriété était plus grande à l’international qu’en Belgique, cela vous aide pour ce type de démarches?

V.V. : Je crois que j’ai une réputation… À mes débuts, lorsque je travaillais avec Didier Brunner sur Les Triplettes de Belleville, il a dit en rigolant aux gens du VAF : “ce n’est pas une productrice que vous avez là, c’est un pitbull. Quand elle se met dans un projet, elle le fait.” Et c’est un peu de cette manière qu’on me connaît : je me bats pour les projets, qu’ils viennent de moi ou non. Le fait d’avoir fait partie des Triplettes, un point tournant dans l’animation européenne, cela a été très important. Et je crois que les gens n’oublient pas très vite ce nom… En Belgique, il y a moins d’attention pour ce qui est animation, avec cette conception que le cinéma d’animation, c’est pour les enfants. Ce n’est pas vrai, c’est un médium pour raconter des histoires, et c’est un combat que je continue à mener aujourd’hui.

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