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L'Intégrale de Johan Van Der Keuken - Dvdphiles

Publié le 04/03/2008 par Dimitra Bouras et Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Sortie DVD
L'Intégrale de Johan Van Der Keuken - Dvdphiles

Johan Van Der Keuken, trois fois trois (trois DVD dans le Coffret 3)

 
Le plus grand cinéaste documentariste du siècle dernier, Johan Van Der Keuken, est l’objet d’une sortie intégrale de ses films sur DVD. Actuellement, nous pouvons voir le troisième coffret regroupant 3 DVD et 18 films de courts, moyens et longs métrages : Paris avant l’aube, L’enfant aveugle, Beppie, Herman Slobbe, L’enfant aveugle 2, Big Ben/ Ben Webster in Europe, L’esprit du temps, Le Chat, Journal, La forteresse blanche, Bert Schierbeek/la porte, Vietnam opera, Le nouvel âge glaciaire, Quatre murs, Vélocité 40-70, Le mur, Printemps (trois portraits).

Né en 1938, JVDK a fait des études à l’IDHEC, à Paris. Il fait de nombreuses photographies et publie, notamment, un album, célèbre devenu, Nous avons 17 ans (Wij zijn 17). Il écrit de nombreuses critiques cinématographiques pour le Haagse Post. En 1969, il réalise Even Stilte (Un moment de silence), un film en noir et blanc de quatorze minutes et, dès lors, ne s’arrêtera plus de prendre sa caméra à l’épaule pour faire des films.
Jusqu’en 1965, JVDK utilise une caméra Bolex 16mm à ressort ne permettant de réaliser que des plans de 24 secondes avec des bobines de deux minutes et demie, sans son synchrone. En 1974, il reprendra sa Bolex pour réaliser Les vacances du cinéaste (Vakantie van de filmer). En 1965, JVDK obtient une caméra Bolex plus performante, avec de grands chargeurs, un moteur et un générateur, qui lui permet désormais de tourner en son synchrone. « Il faut penser qu’avant le développement du cinéma-vérité, le cinéma documentaire, c’était une image avec une musique, un bruitage ou un commentaire séparés, non synchrones ». À cela va s’ajouter le choc de la découverte des films de Jean Rouch, Les maîtres fous et Moi un noir qui offrent « une syntaxe cinématographique » au réalisateur. Dans le courant des années soixante, JVDK va donc utiliser, en alternance, ses deux caméras Bolex avant, plus tard, de passer à l’Arriflex 16mm.
Paris à l’aube, tourné en 1960 en couleurs, avec la collaboration de James Blue, est un poème sur Paris du crépuscule à la naissance de la lumière et l’apparition du soleil. Pas vraiment un documentaire donc, mais avec ce style d’images fragmentaires proches du cliché photographique. « Pour lui, le cinéma c’est vingt quatre cadres par seconde », disait Serge Daney. Mais aussi un style où l’image équivaut à la photo et le son au jazz (la musique comme contrepoint sonore à l’image proche de l’esthétique de Enthousiasme de Dziga Vertov). Passionné par la photographie qu’il n’abandonnera jamais, JVDK est un virtuose du cadre. Dans l’espace qu’il filme, il ne cesse de changer d’axe, détachant chaque image de l’ensemble, coordonnant diverses visions de l’espace avec une ponctuation semblable aux thèmes musicaux.
Il explique : « La fragmentation à laquelle on procède dans la conception contemporaine du montage n’est pas la conséquence de la décomposition mécanique en photogrammes, elle correspond seulement aux mouvements tâtonnants de la conscience. Les allées et venues entre différents niveaux de la réalité. (…) Alors que le montage « cubiste » d’Eisenstein créait dans la durée l’équivalent d’une position libre dans un espace donné, dans le montage actuel, nous sommes libres dans un espace qui ne connaît plus de limites ».

L’Esprit du temps
, 1968, 42 minutes.
Le film porte sur les mutations d’une jeunesse découvrant la lutte contre la violence sociale et politique en Mai 1968. Une caméra extrêmement mobile, souvent virevoltante, capte la transformation d’une société immobile. La caméra file d’avant en arrière, JVDK n’hésitant pas à ce que le plan revienne, lors du montage, en arrière... et pas qu’une fois. On est dans une mobilité refusant l’ordre établi, la structure intemporelle, la caméra zigzague : un flic et son chien surveillant les manifestations contre la guerre au Vietnam (« Johnson assassin !»), le visage d’un jeune à l’allure de hippie devenu fonctionnaire (plan interminable sur son vécu normatif), jeunes dans un appartement collectif écoutant de la musique planante avec des enfants plus vivants qu’eux. Un air frais face au renfermé, de la vitesse (en accéléré ou en décéléré) face à l’arrêt, bousculant les cloisons.
C’est l’époque où JVDK découvre les théories développées par Marshall Macluhan (Pour comprendre les médias, Le Seuil, 1968) le rôle de l’image électronique (télévision) par rapport à l’image pellicule (cinéma). « Cette vision m’a inspiré pour la réalisation de Esprit du temps qui représente, pour moi, une rupture vers une forme plus autonome : le médium est le contenu, la forme est le message ».(JVDK).


Journal (Daybook), 1972, 78 minutes.
La naissance du plus jeune de ses enfants devient l’occasion pour le cinéaste de se demander quel est le monde auquel il va se confronter, au Nord et au Sud. Filmé au Cameroun, au Maroc et en Hollande, ce film montre les relations entre le Sud (pays pauvres) et le Nord (pays industrialisés et riches) que l’on retrouvera dans l’un de ses films les plus connus, Vers le sud.
JVDK : « Dans Daybook, le rapport entre riches et pauvres est vu à travers une histoire de l’outil, de la houe africaine à l’ordinateur ». Dans le triptyque consacré aux relations nord-sud, JVDK examine déjà les effets pervers de la mondialisation. « Dans ce Triptyque, j’ai essayé de rendre en une vision émotionnelle globale quelques traits de la diversité infinie des modes de vie et des arrière-plans historiques sur lesquels se fonde le monde. J’ai également tenté de clarifier, à l’aide d’images, la liaison en profondeur existant de par le monde entre ces « mondes » différents, même si les gens qui y vivent ne sont pas aptes à le comprendre »

Big Ben/Ben Webster, 1967, (31 minutes).
Consacré au saxophoniste américain Ben Webster installé à Amsterdam, une légende vivante du jazz et du blues. Un portrait qui ne ressemble guère à la chronologie et aux normes télévisuelles, mais qui montre la relation de l’homme avec la musique saisissant la face cachée du musicien. « Le film n’a donc pas de vrai commencement ni de fin mais seulement un mouvement continu, un mouvement qui va du personnage mythique à sa présence corporelle. Il semble que la question raciale ait joué un rôle : "Qui s’enrichit de notre musique ? l’homme blanc." Ces difficultés ont eu pour conséquence que le grand maître, dix ans durant, obtenait à peine du travail et qu’il partait enfin pour l’Europe ».

L’enfant aveugle (1964), 24 minutes
Comment un enfant aveugle perçoit-il la réalité, le monde qui l’entoure et dans lequel il est enserré. JVDK a passé deux mois à l’Institut pour aveugles de Huizen aux Pays-Bas pour découvrir le mystère de la perception inverse. « Nous avons une provision d’images et d’émotions, et celui qui ne peut voir les images est aveugle. Cette époque s’occupe activement de rendre visible les espaces immenses et les dixièmes, les centièmes et les millièmes de seconde; derrière la biographie des gens, s’est entassée une nouvelle provision de signes qui peuvent être traduits et compris ». (…) Pour les aveugles « les voix et les intonations déterminent leur sympathie ou leur aversion; grande sensibilité pour la parole qui, détachée de l’accompagnement expressif du visage et du geste, obtient une grande force ; il en résulte chez les enfants une capacité étonnante de formulation et un besoin incessant de parler : celui qui ne parle pas n’est pas. » (JVDK)

Herman Slobbe (1966), L’enfant aveugle 2, 29 minutes
Ce second film sur les aveugles suit un adolescent. Il s’agit d’une suite de L’enfant aveugle passant d’une exploration globale du problème à l’exploration de la réalité à travers un seul individu pendant son évolution. À la fin du film, Herman Slobbe se saisit du micro et devient le reporter du film.

Beppie, (1965), 38 minutes
Beppie est une jeune enfant de dix ans que le réalisateur rencontra dans son quartier. Il se lia d'amitié avec elle et fit le portrait de ce « rayon de soleil. Une vraie gamine d'Amsterdam, à la fois gentille et maligne comme un singe.»
Après une ouverture sur un air de jazz tonitruant, le silence accompagne les premières images qui plantent le décor : portrait de la fillette, de bas en haut, emmitouflée dans ses bas de laine, des images du canal, des façades de maisons, la rue. Le son apparaît avec Beppie, qui présente ses huit soeurs. Ces 38 minutes ne sont pas uniquement le portrait d'une fillette et de sa famille, mais un authentique témoignage socio-ethnologique de la réalité amstellodamoise des années 60. JVDK crée ce film, entièrement centré sur Beppie, sans autres incursions que les deux phrases prononcées par la mère et le père, et dévoilant, à travers le regard et les questions de cette enfant, la confusion du monde occidental consumériste pris dans le tourbillon postindustriel. Dit comme ça, le film a l'air d'un traité marxiste, austère et complexe ! Que l'on se détrompe ; c'est une tranche de vie qui oscille entre le gris de l'âne, le rose caramel, en passant par le rouge pourpre de la colère. Un cocktail détonnant d'émotion !
 

Le Chat, (1968), 5 minutes
La télévision hollandaise demanda à quinze cinéastes de créer un film de cinq minutes, chacun commençant par la dernière image du film précédent. La réalisation de JVDK s'engage sur un gros plan d'un pistolet. S'ensuit l'apparition fugace d'un uniforme et d'un chien policier aboyant, puis d'une déesse hindoue qui incise le portrait d'un gros chat ronronnant sortant de sa torpeur, pour se retrouver propulsé dans la voie lactée !
Mai '68 oblige, de grandes vérités sont assenées : « Les films qui répondent seulement aux attentes figées des gens, ça c'est de la corruption du langage. » ou encore : « Le cinéma devrait être un moyen de changement. À cet effet il doit s'attaquer aux attentes figées.»
On imagine aisément la stupeur des commanditaires et des téléspectateurs en découvrant ce récit, ce qui ne fait qu'augmenter le plaisir amusé que l'on peut avoir en assistant aux déhanchements sonores du matou !


18 films de Johan Van der Keuken, un coffret de trois DVD (numéro trois d’une série de 5 DVD) édité par Arte et diffusé par Twin Peaks