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Entrevue pour Le Tango des Rashevski

Publié le 01/12/2003 / Catégorie: Entrevue

Une affaire de famille

Sam Garbarski, publicitaire belge bien connu, s’est déjà fait remarquer avec trois courts métrages dont La Dinde et Joyeux Noël, Rachid. Avec ce premier long métrage, très bien accueilli en France, il raconte une histoire juive qui lui ressemble.

Entrevue pour Le Tango des Rashevski

Cinergie : Le succès de votre film en France est une agréable surprise. Pensez-vous que la partie sera plus difficile à gagner en Belgique ?
Sam Garbarski : Je me refuse à extrapoler quoi que ce soit. Après chaque projection, selon l’accueil du public, on essaye de se faire une petite idée. Mais il n’y a pas de règle et oui, je redoute un peu cette sortie en Belgique. 

 

C. : Parler de vos racines et de votre culture était-il une priorité pour vous lorsque vous avez décidé de faire du cinéma ?
S. G. : Ça s’est fait tout naturellement, sans aucune préméditation. Quand vous écrivez des scénarios et que vous les confiez à un réalisateur, cela ne donnera jamais ce que vous aviez en tête. J’ai donc décidé de tourner mes propres films, en commençant par des courts métrages. Mais c’était trop court ! Un soir, je me suis mis à écrire une histoire et je l’ai montrée à Philippe Blasband, il a tout de suite réagi. On dit que ce film est autobiographique, il est vrai que je me retrouve dans tous les personnages mais Philippe aussi. Si les Rashevski existaient, ils s’appelleraient les Blasband ! Ce sont des gens de nos deux familles respectives qui nous ont inspirés même si le film reste une fiction. Et comme on dit, la réalité rejoint souvent la fiction. Lors de la projection du film au Musée juif de Paris, la grand-mère de Philippe est décédée. A la surprise de tous, elle avait réservé une place au cimetière juif, elle qui était absolument contre la religion.  

 

C : Aviez-vous envie de raconter une histoire universelle ?
S. G. : On ne raconte bien que ce qu’on connaît bien. Mais il ne faut pas être né à Hong-Kong pour apprécier un film asiatique ! Parler d’un milieu avec ses questions, sa perte de repères, ses doutes, concerne tout le monde. Lors d’avant-premières, j’ai vu des réactions très fortes de musulmans ou de chrétiens, se reconnaissant dans le film. En enterrant la grand-mère, les Rashevski déterrent leurs racines. La mort est un séisme dans une famille, elle bouscule tout. Je ne suis pas prétentieux au point de vouloir délivrer un message. Mais la seule façon pour moi de vivre ma vie c’est de prôner l’amour et la tolérance. Et j’utilise la métaphore du tango pour livrer mes sentiments. En fait, je me raconte la vie comme j’aimerais qu’elle soit !

 

C : Ce film a-t-il apporté des réponses à vos propres questions ?
S. G. :Y a-t-il des réponses ? Je n’en suis pas sûr. La réponse des Rashevski quand ça ne va pas, c’est de danser le tango. C’est quoi être juif quand on n’est pas religieux ? Je me suis bien sûr posé la question. La réponse diffère selon notre interlocuteur et le regard qu’il pose sur nous.

 

C : Vous avez dû vous faire plaisir avec une telle distribution ?
S. G. : Je me suis basé sur les films qui me sont chers, des comédies italiennes de la belle époque à Papa est en voyage d’affaires d’Emir Kusturica. Je n’avais aucune envie d’une star qui vampiriserait le tournage, je désirais plutôt une famille, une troupe comme au théâtre. La première fois que les acteurs se sont rencontrés, les Rashevski existaient ! Tout le monde était à sa place, Ludmila Mikaël avec Michel Jonasz, Hippolyte Girardot avec Jonathan Zaccaï…  

 

C : Votre fille Tania joue dans le film.
S. G. : Je sentais qu’elle conviendrait tout à fait, c’est ma fille, je la connais bien ! Mais je voulais qu’elle passe le casting afin de convaincre les producteurs. C’est un bonheur que de travailler avec ses enfants et c’est sûr qu’elle aura un rôle dans mon prochain film.
(Sam Garbarski prépare son deuxième long métrage Irène P, toujours sur un scénario de Philippe Blasband.)

 

Tania Garbarski : Mon père a fait un film humaniste.
Ce film reprend tous les cas de figure d’une famille juive, de l’athée au très religieux, tout en évitant les caricatures. Il se situe entre La Vérité si je mens de Thomas Gilou et Kadosh d’Amos Gitaï, tous ces films ont leur place. Le Tango des Rashevski n’est pas un film qui prend des positions fortes et qui réduit les gens à une seule pensée. Etait-ce réducteur de parler d’une famille juive ? Visiblement non, vu l’accueil des gens. C’est un film sur l’amour, la famille, la tolérance, la religion, sur Israël également tout en n’étant pas un film politique. Moi, comme d’autres protagonistes tels Daniel Mesguich, Michel Jonasz ou Jonathan Zaccaï, avons tous le même rapport au judaïsme, un rapport fait surtout de respect des traditions et des racines plutôt que de religion. Aucun de nous n’est pratiquant. Sans paraître mégalo, je crois que mon père désirait faire un film humaniste autour de cette idée simple : on est tous des êtres humains, des « mensch » comme on dit en yiddish. Quand on prend le temps de comprendre l’autre, tout est possible. 

 

C : Votre père vous a-t-il tenu au courant de l’évolution du scénario ?
T.G. : Oui, j’ai lu une première version et par la suite quand mon père avait des doutes, il me faisait lire les autres moutures. Mon personnage, il l’a écrit avec Philippe en pensant à moi. Mais le monde du cinéma étant ce qu’il est, je n’avais aucune certitude de faire le film. Je suis comédienne, je travaille avec lui depuis mes quatorze ans et c’est un rêve que de pouvoir travailler en famille. Quand j’ai passé les auditions, la pression était encore plus forte que d’habitude. Mais ça s’est bien passé. J’ai essuyé plus de critiques quand j’ai décidé de suivre des cours d’art dramatique. On savait de qui j’étais la fille. A présent, je suis comédienne avec et sans mon père. Ça fait dix ans que je fais ce métier mais ce tournage-ci, je l’ai vécu comme un rêve. Quel plus beau cadeau peut faire un papa à sa fille actrice que de lui offrir un tel film ? En plus, il m’a bluffée. Je suis très fière de lui, c’est quand même son premier long métrage.  

 

C : Un premier long métrage qui fait bouger votre carrière.
T.G. : A présent, j’ai un agent à Paris et je vais sans doute tourner un autre film. Mais je joue beaucoup sur scène en Belgique et j’adore Bruxelles, je n’imagine pas vivre ailleurs. A Paris, tout est compliqué, il faut tout décoder ! 

 

Gilda Benjamin

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