Twa Timoun raconte l’histoire de trois jeunes haïtiens, entre enfance et adolescence. Membres d’un institut d’accueil, ils décident après le séisme de 2010 de s’envoler et d’occuper une maison, de grandir. Mais nos jeunes vagabonds apprennent vite qu’il n’est pas simple de vivre ainsi…Le filmoffre un regard serein sur Haïti, une île qui semble n’apparaître sur nos écrans que lorsqu’une catastrophe en chasse une autre. Twa Timoun, c’est aussi un film sélectionné à Toronto et à la Berlinale notamment et une drôle d’aventure, un pari un peu fou pour un tournage rock’n’roll, entre abnégation, débrouille et solidarité. Rencontre avec Jonas d’Adesky, réalisateur et instigateur du projet.
Twa Timoun de Jonas d’Adesky
Cinergie : Explique-nous comment est né ce projet ?
Jonas d'Adesky : A la fin de mes études à l'IAD, en septembre 2010 je suis parti à Haïti avec ma copine Inès, assistante sociale via l'ONG Geomoun afin de réaliser un reportage sur TIMKATEC, une structure d'accueil et de scolarisation d'enfants des rues.
Contrairement aux ONG étrangères qui ne se mélangent pas avec la population locale et qui est très protégée, c'est une organisation d'haïtiens, qui a ponctuellement eu besoin de nous. Nous pouvions donc circuler relativement librement et sans risques particuliers, sauf aux moments des élections présidentielles qui furent très tendues .Réaliser ce documentaire m'a beaucoup plu mais j'avais le désir de créer autre chose. J'avais écrit un synopsis en Belgique sur l'histoire de trois garçons après avoir vu les images du seisme, un squelette qui était assez proche de la version finale. J'ai voulu l'adapter mais je manquais de temps.
J'en ai parlé à mon ami Benjamin Morel qui était en Belgique et qui fut le responsable image. Il a été emballé par le projet et a investi dans un 5D et quelques optiques. Nous avons créé l'asbl Résonances Films, du nom d'un de mes court-métrages où il était également présent. Nous étions en autofinancement total. Nous avons bien obtenu la bourse Vocation mais elle est arrivée la veille de la fin du tournage...
C: Comment as-tu casté les enfants et constitué ta petite équipe ?
Jonas d'Adesky : J'ai décidé de trouver les enfants au sein de la TIMKATEK. Il y a eu un écrémage très rapide car peu d'entre eux savaient lire, ce qui était indispensable. J'ai vite senti qui serait choisi et je ne regrette pas du tout mes choix. Vitaleme était inventif, il a tout de suite compris comment jouer avec la caméra. Mickenson était inégal, parfois très bon, parfois beaucoup moins. Pierre était le plus difficile à gérer, il était très lunatique et refusait parfois de jouer mais il avait un passé très lourd, ayant notamment perdu ses deux parents.
Concernant l'équipe, outre Benjamin, j'ai contacté Raphaël Leloup qui a composé la musique et qui était un proche. Pour le reste, il a fallu se débrouiller... Il existe une école de cinéma à Haïti, Jacmel, que j'avais essayé de contacter au départ afin d'obtenir des techniciens. Seul un ingénieur du son m'avait répondu mais il m'a lâché deux semaines avant le tournage, probablement parce que je venais de nulle part et que le projet semblait un peu fou. J'ai finalement rencontré Scorp, un ingénieur du son haïtien mais de studio, il ne connaissait rien au tournage. Il a fallu le former, heureusement nous n'avions qu'un matériel minimum, une perche et un Zoom H4, ça c'est donc bien passé.
Steve Jean est devenu mon assistant. C'est un ancien élève de la TIMKATEK et je lui avais demandé de traduire le scénario en créole. Mais comme il ne savait pas se servir d'un ordinateur, nous avons du le traduire ensemble, ce qui nous a pris 4/5 semaines. Nous partions sur la base du volontariat mais j'ai vite compris qu'ils attendaient logiquement une rétribution financière alors j'ai commencé à les payer. Cette période de traduction était très fastidieuse et m'a paru une perte de temps mais au final, c'était nécessaire. Cela m'a permis d'apprendre le créole et de pouvoir ainsi interagir directement sur le tournage avec les enfants. Sans cela, je ne sais pas si le film aurait pu se faire. Enfin, ma copine Inès Vandermeersch nous a énormément aidé en régie et pour dénicher des seconds rôles.
C: Comment s'est passé le travail avec les enfants en général et au niveau de la mise en scène ? Vous avez du beaucoup improviser j'imagine.
Jonas d'Adesky : Au départ, non pas d'impro'. Il fallait les cadrer car il ne savait pas du tout ce qu'était un tournage. Leur faire comprendre que chaque prise ne soit pas trop longue et que chaque scène correspond à une idée et que l'on doit obtenir un contenu précis. Au début, c'était lent, ils devaient lire le scénario puis nous expliquions les intentions et enfin, ils apprenaient les dialogues. Ils posaient énormément de questions: pourquoi on retourne plusieurs fois la même scène par exemple. Il fallait leur apprendre comment ça fonctionnait.
Au départ, je pensais jouer sur des plans-séquences en me disant qu'ils seraient plus naturels mais je me suis rendu compte que pour que tes trois gamins soient bons ensembles c'est très compliqué. J'ai du donc faire beaucoup plus de découpage puis aller chercher les moments où ils sont bons lors du montage. Dans la deuxième partie de tournage, ils avaient bien assimilés le fonctionnement donc on allait très vite et ils ne répétaient plus les dialogues à l'identique mais ils réussissaient à rester dans le ton. A côté de ça, il y a eu quelques scènes d'improvisations complètes où je les voyais faire certaines choses que je trouvais chouette comme la scène du téléphone et je leur demandais de le refaire.
Après je confirme qu'il est très difficile de travailler avec des enfants car ils ont peu de patience. De plus, comme ce sont des enfants qui n'ont pas de figure d'autorité familiale, ils n'ont pas l'habitude d'avoir des activités en dehors de l'école où on leur demande de faire des efforts, comme ici dans un club de sport ou de musique, où parfois on nous gueule dessus. Pour eux c'était très abstrait et ils découvraient aussi cela. Au bout d'une semaine, ils ont compris que c'était un vrai investissement et c'est devenu plus compliqué. On a eu des soucis tout les jours mais aussi de très beaux moments lorsqu'ils aimaient les scènes. En plus, nous faisions de vrais journées alors qu'en Belgique un enfant tourne 5/6 h et sont super encadrés, il y a toujours une personne qui est chargée de s'occuper d'eux et de les cocooner, nous n'avions pas ça évidemment. Mais au final ils étaient ravis de cette expérience.
Afin que ça soit plus simple pour eux, je les ai interrogés séparément après le casting. Je leur ai posé beaucoup de questions sur leur passé, leurs goûts, leurs rêves etc… J’ai écris la dernière version du film avec ce matériau. Une grande partie de ce qu’ils racontent dans les entretiens avec l’assistante sociale provient de ce qu’ils m’ont dit. Même chose pour la dernière scène du film que je souhaitais tourner vers l’avenir. C’est aussi pour ça qu’ils sont très bons à ces moments car ils parlent d’eux et de ce qu’ils connaissent.
C: Il y a une très belle scène qui se déroule dans la cathédrale détruite. Compte tenu des conditions de tournage et des multiples casquettes que vous portiez, as-tu pu tourner dans tous les endroits que tu souhaitais ?
Jonas d'Adesky : Tout ce que je souhaitais non mais l'avantage c'est que je ne voulais surtout pas faire un film sur la destruction d'Haïti donc je n'ai pas eu de frustration. Le seul décor que je souhaitais absolument c'était la maison abandonnée. Le reste, c'était priorité à l'histoire et les décors viennent ensuite, vraiment en arrière-plan pour le coup. Bien sur qu'il y a certains plans que j'aurais aimé tourner autrement si j'en avais eu les moyens mais ce n'était pas le propos. Et ça a beaucoup plus aux Haïtiens. Ils avaient peur d'une vision misérabiliste et ils étaient ravis que je ne m'attarde pas sur le tremblement de terre ou la destruction, qu'il y ait une belle dynamique dans le film qui donne paradoxalement envie de découvrir l'ile alors que moi je me contentais de filmer les gamins.
Je suis déçu de ne pas avoir pu encore laisser de DVD aux enfants pour des questions de droits, le piratage étant extrêmement répandu là-bas. J'aimerai retourner sur l'île pour organiser d'autres projections dans des lieux publics, en plein-air. Je ne sais pas si ça sera possible, on verra...
C: Justement, quels ont été les retours à propos du film en Haïti ?
Jonas d'Adesky : Ce qui était frappant, c'est que pour beaucoup de spectateurs il s'agissait de la première vision d'un film tourné en Haïti, en créole, qui plus est avec des gamins comme acteurs. Il n'y a plus de cinéma en Haïti, on a fait la projection à l'institut français et ils possèdent aussi une salle dans un centre culturel mais c'est tout. Les films tournés sur place sont des téléfilms qui parlent de tromperies et de thématiques très locales mais il n'existe pas véritablement d'industrie de cinéma. Raoul Peck est Haïtien mais ne vit plus sur l'île. Il y a également un réalisateur français, Arnold Antonin qui réalise des films très particuliers sur l'univers vaudou mais c'est très rare qu'il y ait un film local et en général le retour sur le film a été très bon, notamment de ce fait. Un film local résolument positif, ça leur a plu. Et le retour à Jacmel, l'école de cinéma, a aussi été très bon, les gens étaient étonnés que nous ayons réussi à terminer le long-métrage, avec des enfants qui plus est.
C: Tu as connu la déferlante médiatique sur l’île après le séisme, comment l'as tu vécu ? Est-ce que ça t'as influencé dans le choix de tourner une fiction?
Jonas d'Adesky : Je crois que Twa Timoun est le premier film de fiction tourné en Haïti depuis et personnellement tout ce qui a trait à la mise en scène de la catastrophe ne me plait pas du tout. C'est peut-être nécessaire pour faire réagir les gens je ne sais pas, mais ça ne me parle pas. Je pense d'ailleurs que j'aurais très bien pu faire ce film sans le tremblement de terre. Ce qui m'intéressait fondamentalement c'était l'amitié de trois gamins, leur quotidien, comment ils se débrouillent. Je m'intéresse beaucoup aux personnages et à leur caractère, à leur intériorité. C'est pourquoi Twa Timoun sera probablement mon film le plus réaliste, le plus inséré dans une réalité concrète disons. Cet intérêt pour l'intériorité se ressent à travers le personnage de Vitaleme, avec ses souvenirs difficiles. C'est une chose que je voulais évoquer et qui est très présente en Haïti, beaucoup d'enfants sont placés dans des familles et servent de bonne à tout à faire, ils côtoient les enfants qui vont à l'école mais eux restent à la maison et sont utilisés. Nombre d'entre eux se retrouvent à TIMKATEK par la suite.
Je n'avais pas du tout décidé de faire un film à destination du jeune public mais je me suis aperçu à Berlin que les enfants l’aimaient beaucoup. Nous étions dans la section Génération qui est la section jeune du festival et même s'ils ne comprenaient pas tout, les enfants ont beaucoup appréciés et ce sont identifiés à ces trois garçons. Mais pour en revenir à la question, il y avait déjà assez eu d'images catastrophes, je n'allais pas en remettre une couche et ce qui m'intéresse vraiment en tant que réalisateur et scénariste c'est de rentrer dans la tête des personnages, en l'occurrence des enfants. Donc ça ne m'a pas influencé.
C: La première mondiale du film a eu lieu à Toronto, Twa Timoun a été sélectionné au festival de Berlin... Qu'est-ce que ça fait de retrouver dans ces prestigieux festivals?
Jonas d'Adesky : Ca fait plaisir bien sur. Lorsque nous sommes arrivés à Toronto, la salle était pleine. Voir une salle rempli de centaines de personnes ayant payé pour voir ton film, ça fait quelque chose... Et discuter avec le public après, comme c'est un film qui a une histoire et une aventure très particulière en plus, les discussions étaient très intéressantes. C'est à la fois une reconnaissance et un aboutissement, étant donné qu'on réalise des films pour qu'ils soient vus.
J'ai un regret tout de même, c'est de n'avoir pu emmener les enfants nulle part. A Miami je pensais naïvement que c'était possible car ce n'est qu'à une heure d'avion de Port-au-Prince. Mais comme ils n'ont pas de parents, les démarches étaient très lourdes et très longues. C'est vraiment dommage.
Dernièrement, le film a reçu son premier prix au festival de Trinidad-et-Tobago qui est un gros festival dans cette région. Qu'il soit primé dans les Caraïbes, ça me touche.
C: Parle-nous un peu de l'après-tournage ? Comment s'est déroulée la postproduction ?
Jonas d'Adesky : Il faut préciser que jusqu'à la fin nous n'étions pas assurés de boucler le tournage. J'avais préparé un plan de travail sur 6 semaines et le dernier jour de tournage correspondait à la veille du départ de l'île de Benjamin ! Mais on a réussit, malgré cette deadline ultraserrée. La bourse Vocation nous a permis de commencer le montage sereinement et de rembourser nos dettes. Nous sommes allés voir Helicotronc avec qui nous avions des contacts et ils ont acceptés de nous coproduire. On a pu bénéficier de conditions de postproduction beaucoup plus sereines, en travaillant au studio L'équipe par exemple.
Par contre nous avons du assurer la distribution nous même. Très peu de distributeurs ont été intéressés et les rares qui l'ont été nous ont dit en substance : « Ecoutez les gars, on veut bien distribuer votre film mais en général, pour les petits films, on se contente du service minimum alors autant le faire vous-même, ça sera surement mieux »… Voilà comment on s'est retrouvé à le distribuer, à faire de la pub'... Ce n'est vraiment pas évident.
C : En tant que jeune réalisateur, que retiens-tu de cette expérience et quels conseils aurais-tu à donner à d’autres jeunes cinéastes ?
Jonas d'Adesky : Tout d’abord, il faut être exigeant avec soi-même. L’IAD est une très bonne école mais nous sommes très encadrés. Lorsque l’on en sort, il est nécessaire de réussir à se structurer, de se fixer des deadlines, de se remettre en question. Par moment j'avais l'impression que j'allais péter les plombs sur le tournage mais j'ai réussi à tenir malgré tout... Mais oui, il faut être persévérant et patient et ne pas hésiter à rencontrer des professionnels et des structures, les portes ne sont pas aussi fermées qu’on pourrait le croire.
Je ne referai plus de films avec une aussi petite équipe. A sept ou huit ça aurait été bien mais à quatre… Nous avions tous plusieurs rôles, j’étais à la fois réalisateur, producteur, scripte… J’ai simplifié de nombreux paramètres ce qui était indispensable, les enfants portent toujours les mêmes vêtements par exemple mais c’est très fatiguant. L’aspect production également était très contraignant ; payer les gens, voir si l’on va pouvoir tourner ce qui est prévu etc… J’avais négocié une voiture mais elle nous a lâché après deux semaines, nous n’avions ni le temps ni les moyens d’en trouver une autre alors nous avons fait sans…. Et toutes ces tâches qui ne nous sont normalement pas dévolues nous épuisaient énormément. En fin de journée, nous revenions usés et en nous focalisant sur tout ce qui avait été négatif, nous manquions de recul, et d’aide bien sur. Nerveusement c’était très dur mais nous avons tenu car il y avait cette sensation de réaliser un truc incroyable, que ce qui n’était qu’une utopie était en train de prendre forme.
Je découvre plein de choses encore. Nous avons réussi à sortir le film en salle grâce à nos sélections dans les festivals ce qui nous donnait du poids mais on ne nous a pas fait de cadeau. Au Vendôme, Twa Timoun a été le film qui marchait le mieux en première semaine, avec des horaires en journées. Mais en deuxième semaine, on ne nous a pas donné d'horaires à 21h comme il est de coutume pour les copies qui fonctionnent et le film n'a tenu que deux semaines; personne ne fait de cadeau même si un c'est film belge. Je ne pensais pas faire des mille et des cents bien sur, mais je me disais que comme c'est belge on nous filerait un coup de pouce...et non. C'est toute une découverte pour moi l'après-film, ça demande beaucoup de disponibilités. Je ne mesurais pas tout ça. L’accompagnement du film nécessite aussi un gros travail.
C : Tu as des projets ?
Jonas d'Adesky : J’ai un projet de long en écriture qui serait un film se déroulant à cheval entre la Belgique et le Rwanda d’où je suis originaire. J’aimerai mettre en valeur ce pays que je trouve très beau à travers l’histoire d’une acrobate. Là aussi, le génocide sera en arrière-plan car c’est l’histoire récente du pays mais il ne sera qu’évoqué. Je réalise des documentaires pour des ONG aussi. J’ai prouvé que j’étais capable, mais j’aimerai vivre de mon métier et j’appréhende la durée des processus d’une production classique. Je n’ai pas envie d’attendre cinq, six ou dix ans pour tourner comme c’est parfois le cas. Je n’en suis qu’au stade du traitement actuellement et ça peut-être très long…. Je suis heureux et conscient qu’avoir réalisé un long à 29 ans c’était déjà très bien mais je n’ai pas envie d’être frustré. Pour Twa Timoun, j’ai terminé d’écrire fin novembre et en janvier on tournait ! C’est vrai que le scénario n’était pas assez travaillé mais on était dans une super dynamique et avec une liberté totale. Alors qu’avec un processus de production, on attend plusieurs années entre l’écriture et le tournage, si le film se fait et il y a le risque d’être passé à autre chose, de ne plus avoir la même envie. Donc dans ce cas, il faut vraiment partir avec une idée très forte pour tenir et travailler durant cinq ans parce que sinon…
Enfin, je suis encore dans l’accompagnement du film qui a une belle durée de vie, entre les sorties en Belgique et de nouvelles sélections en festival, notamment en Inde si tout va bien.