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Cécile McLorin Salvant & Lia Bertels, Ogresse

Publié le 13/05/2024 par Kevin Giraud et Antoine Phillipart / Catégorie: Entrevue

Cécile McLorin Salvant & Lia Bertels : Dans les coulisses d’Ogresse, conte musical et futur long métrage d’animation

Fable musicale envoûtante, Ogresse est aujourd’hui en cours d’adaptation pour devenir prochainement un puissant film d’animation signé Lia Bertels et Cécile McLorin Salvant. Plongée dans un projet fascinant qui s’annonce tout simplement exceptionnel, et dont l’animation est actuellement en développement à Bruxelles.

Cinergie : Pouvez-vous nous parler de la genèse du projet?

Cécile McLorin Salvant : J’ai écrit l’histoire d’Ogresse il y a sept ans, au piano chez moi à New York. Cela a dû me prendre un an à peu près. J’ai travaillé avec un arrangeur, Darcy James Argue, qui l’a arrangé pour un grand orchestre, et c’est au cours de ce processus que je me suis dit que je voulais voir cette histoire en dessin, en animation. C’est à partir de ce moment que j’ai commencé à chercher des animateur.ices, mais je ne connaissais pas du tout cet univers. C’est via internet que j’ai fait mes recherches pour une personne dont l’esthétique collerait bien à cette musique, et c’est comme cela que j’ai découvert le travail de Lia et que je l’ai contactée.

 

C. : Lia, comment avez-vous accueilli cette demande?

Lia Bertels : Je me souviens avoir reçu des messages par pas mal de canaux et de m’être dite “Oh, elle a l’air vraiment intéressée de travailler avec moi”. J’étais ravie. À la base, j’écoute peu de jazz, donc je ne connaissais pas le nom de Cécile. Après une petite recherche Google, je me suis vite rendu compte de sa notoriété, ses Grammy’s, oulah… [rires]. Puis j’ai écouté ce qu’elle avait fait et j’ai trouvé cela très beau. Donc, très heureuse de cette demande et de là on a rapidement commencé à échanger, avec un contact très chaleureux qui s’est établi rapidement. C’est un projet merveilleux, avec une musique qui l’est tout autant. Et travailler avec Cécile c'est génial, car d’emblée, nous avons décidé que ce serait un film qui serait co-réalisé, et pas simplement mon film. C’est elle qui est à la genèse de cette histoire, elle dessine également, elle a tout un univers visuel, donc c’était évident.

 

C. : Comment construit-on un tel film? Comment part-on d’un conte musical pour aller vers un long métrage d’animation?

L.B. : Déjà, la musique et l’histoire sont là. Et pour une réalisatrice de film d’animation, c’est du pain béni. Nous avons donc repris la musique de Cécile, et à partir de là on a commencé à écrire ensemble ce qui allait être vu à l’image. Après le scénario, on est passé à l’animatique, et on s’est très vite rendu compte de ce qui fonctionnait, et de ce qui n'allait pas. C’est un gros travail d’animation parce qu’on ne veut pas d’un long clip. La trame narrative est parfois racontée en images, parfois l’émotion est dans la musique, parfois moins, qu’est-ce qu’on raconte en plus? Toutes ces questions sont essentielles. Ce film, c’est une longue broderie, à l’image de celles que réalise Cécile.

C.McL.S. : Le défi, c’est de ne pas trop être dans l’illustration. Il faut trouver une manière de faire danser les deux médiums, de ne pas se dire “voilà, le narrateur raconte ça, donc on montre ça à l’écran.” Aujourd’hui, on est dans une période où le monde est visuel. Tout autour de nous, c’est le visuel qui prime et on a tendance à ne pas penser à ce qu’on écoute, ou à ne pas entendre les mots qu’on entend. Nous voulons nous dire au contraire que la musique, les paroles et le texte peuvent travailler pour nous ici, et qu’on a pas forcément besoin de montrer. Et vice versa cela dit, car le fait de transposer ce conte en animation permet également d’apporter de nombreux éléments à l’histoire des personnages, à l’univers… Tout cela amène une autre ampleur, même si cela reste une chorégraphie et un jeu d’équilibriste.

 

C. : Dans le conte musical, l’histoire est racontée d’une seule voix. Comment cela va-t-il se traduire à l’image?

C.McL.S. : Ce sera toujours une seule voix, dans la tradition des conteurs. Mon père est Haïtien, et on retrouve fort cette tradition du conte et du conteur qui incarne des personnages différents, à la manière d’une histoire racontée autour d’un feu de bois. C’est comme les histoires que me racontait ma sœur pour que je dorme la nuit, ou plutôt pour que je ne dorme pas la nuit [rires]. C’était important pour nous de garder ce côté conte, plutôt que d’en faire une comédie musicale. C’est ce qui fait un peu la différence, le côté unique de ce projet.

L.B. : Et l’interprétation de Cécile joue aussi beaucoup, on y croit vraiment lorsqu’on voit le personnage s’exprimer, on a vraiment l’impression d’entendre parler quelqu’un d’autre. Alors que c’est bien elle qui incarne toutes ces voix.

 

C. : Comment travaillez-vous ensemble, concrètement?

L.B. : La musique, c’est bien sûr Cécile qui l’a écrite. Pour le scénario, on l’a écrit ensemble, et l’animation se fait ici à Bruxelles. De mon côté, je valide avec les équipes de storyboard, puis on échange avec Cécile. On travaille vraiment toujours à deux, malgré la distance et le décalage horaire.

C.McL.S. : De mon côté, si j’interviens c’est dans l’après-midi, mais ils ont parfois déjà travaillé toute une journée donc je viens un peu comme une mouche, “ah oui c’est bien c’est cool” [rires]. On travaille aussi beaucoup par messages, avec des échanges sur les textes, le scénario, les dessins. On le fait moins aujourd’hui, mais dans les trois premières années c’était vraiment tout le temps, des dessins des dessins des dessins… J’envoie un dessin, une idée pour un personnage, puis Lia le retravaille en mieux, ensuite je le reprends ou vice versa. Nous étions assez flexibles là-dessus, et cela crée des visuels hybrides, une fusion entre nos deux styles. Et c’est trop cool. Quand il faut passer à l’animation et au côté technique, Lia prend le relais et envoie à l’équipe, et on a la chance d’avoir une belle équipe de gens qui reprennent les dessins et les transforment en animation. C’est aussi quelque chose que j’ai appris avec l’animation, c’est qu’il y a plein de mains, et c’est tout aussi cool.

 

C. : Lia, c’est votre premier long, comment vivez-vous ce changement d’échelle?

L.B. : Franchement, plutôt bien. Les courts métrages me paraissent trop courts maintenant [rires]. Dans un long métrage, on peut prendre le temps de développer des personnages, de les faire vivre, de s’y attacher, ce qui est plus difficile en court. Mais le court métrage a par contre un côté facile en termes de temps et de financement, il y a un côté plus jeté dans un court alors que le long métrage est un travail de longue haleine, avec beaucoup d’enjeux. C’est aussi pour cela qu’il y a autant d’investissement et de préparation avant la production, car lorsque la machine est lancée, tout doit être sûr. Et c’est la principale différence selon moi.

 

C. : Quel a été le rôle de Miyu, votre production, dans cette rencontre et ce lancement de projet?

L.B. : De mon côté, j’étais déjà en contact avec eux mais il ne produisait pas encore mes films. À un moment de notre réflexion avec Cécile, nous avons commencé à chercher une production qui correspondrait bien à ce type de projet assez spécial. Et rapidement, on s’est dit toutes les deux que Miyu avait l’air de prendre des risques sur des longs métrages, tout en respectant les auteurs et les autrices, et qu’il y avait donc peut-être une piste à explorer. Et c’est de là que nous les avons contactés.

 

C. : Quand peut-on espérer voir ce projet sur grand écran?

C.McL.S. : Dans deux ans.

L.B. : [Rires]

C.McL.S. : On dit ça? On y croit en tous les cas.

 

Pour en savoir plus, rendez-vous sur https://www.miyu.fr/production/ogresse/

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