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Rencontre avec Aurélie Ehx et Sara Meurant de L’ Autre « lieu »

Publié le 03/02/2020 par Dimitra Bouras et Constance Pasquier / Catégorie: Entrevue

Rencontre avec Aurélie Ehx et Sara Meurant de L’ Autre « lieu »

L’Autre « lieu », c’est un espace de rencontres, d’échanges, de soutien pour toute personne qui présente un intérêt pour la folie, soit directement, soit indirectement. Cette asbl, située rue de la Clé à Bruxelles, s’interroge sur les liens entre santé mentale et société. Ses membres n’approuvent pas le monopole des professionnels sur la santé et combattent activement toute forme d’enfermement psychiatrique. Au programme de L’Autre lieu  : des permanences, des habitats communautaires, des groupes d’entraide, des réseaux d’échange et de construction de savoirs, des ateliers, etc. L’idée, c’est de proposer différentes formules d’accueil et de soutien afin d’offrir un cadre aux personnes qui veulent pouvoir vivre hors des structures thérapeutiques. Ils terminent actuellement une exposition de collages en trois dimensions, qui sera visible dans le cadre des Rencontres d’images mentales qui auront lieu du 6 au 14 février prochain à l’Espace Delvaux à La Vénerie.

Rencontre avec Aurélie Ehx

Cinergie : L’Autre lieu, c’est quoi ?

Aurélie Ehx : C’est une grande maison qui rassemble beaucoup de personnes intéressées par la question de la folie. C’est un lieu de ressources en santé mentale puisqu’on a compilé, au fil du temps, beaucoup de choses qui concernent la folie et son rapport en société. Dans ce lieu, tous ensemble, on essaie d’élaborer d’autres façons de concevoir le soin, pas seulement d’un point de vue clinique ou biochimique, mais aussi un soin lié à l’empathie, à l’exercice des droits, au lien, au logement, à l’accès à une formation, à un travail. On essaie de travailler sur les déterminants de la santé. C’est tout ce qui fait accès à la culture, au travail, à la citoyenneté, aux soins.

 

C. : Comment les membres viennent-ils à vous ?

A. E. : Nos membres, ainsi que les personnes qui traversent L’Autre lieu , arrivent par plusieurs chemins. Elles ont entendu parler de nous via le bouche-à-oreille. Ce sont des personnes qui voient passer nos informations sur Internet, qui tombent par hasard sur nos publications.

 

C. : Que viennent-ils chercher ?

A. E. : On essaie de concevoir différemment le soin. On ne propose pas le même type de travail que d’autres services de santé mentale comme des centres de réadaptation ou des centres de jour. Ici, on s’outille différemment : on ne travaille pas avec le dossier médical, avec un diagnostic psychiatrique. On travaille avec des sorties collectives, des dispositifs de recherche, deux maisons dans la ville qui fonctionnent sous des baux locatifs classiques, une construction de fanzines. On a une autre forme d’équipage. Les personnes qui travaillent ici ne sont pas des soignants. Ce sont des personnes aux parcours très différents : cela va de l’électricien à l’artiste, en passant par le menuisier et la secrétaire administrative.

 

Aurelie EhxC. : Quelles sont les activités proposées ?

A. E. : En terme d’ateliers, il y a beaucoup de choses qui recoupent des techniques et des savoir-faire différents. On propose un atelier d’écriture, une émission radio, un atelier de cuisine, un groupe de recherche de personnes intéressées par la question des médicaments puisqu’on essaie de construire d’autres usages de la médication. Parallèlement, on a des activités sur le corps en lien avec des workshops de danse. Actuellement, on a deux volontaires qui veulent développer un atelier shiatsu. Cela prend de multiples formes. Il y a aussi un fanzine, il y a la possibilité de faire un peu de création de musique. Demain, on va présenter une cassette audio réalisée avec NGHE, un collectif bruxellois qui nous a accueillis dans ses locaux. Les ateliers fluctuent. On ne garde pas le même atelier. Cela suit toujours les envies et les désirs des personnes qui viennent nous voir quotidiennement.

 

C. : Combien accueillez-vous de personnes ?

A. E. : C’est difficile à dire mais il doit y avoir 150 personnes qui passent régulièrement par L’Autre lieu.

Ce qui parle à certains, c’est le fait qu’on puisse entrer ici sans correspondre à certains critères, sans devoir raconter sa maladie, sans fournir de dossier médical. On peut aussi entrer ici pour prendre un café et nous observer. Cela fait moins peur pour des personnes qui ont du mal à cheminer avec le début d’un trouble, qui sont fâchées avec la psychiatrie ou qui en ont peur. Ces personnes passent chez nous parce qu’on travaille différemment par rapport à d’autres de ce secteur. C’est une porte d’entrée plus facile pour des personnes qui ont des difficultés avec certaines prises en charge, avec la représentation de la maladie mentale.

 

C. : Il existe d’autres associations qui travaillent comme vous ?

A. E. : Il y a de plus en plus de structures qui tentent de travailler cette question du soin plus articulée autour du souci de l’empathie, d’activités qui permettent d’ouvrir des horizons différents par rapport à une histoire. On a des comparses à Liège avec qui on travaille beaucoup comme Revers asbl, Siagef, le centre Franco Basaglia. On a des projets réguliers en commun.

 

C. : En tant que travailleurs à L’Autre lieu, vous devez souvent remettre en question votre position face à votre travail.

A. E. : On essaie de prendre du temps pour laisser le projet perpétuellement en mouvement. On a des espaces propices comme des réunions d’équipe hebdomadaires ouvertes à nos membres. On y discute le sens du projet et notre projection dans l’avenir. On a aussi des réunions entre travailleurs où on questionne nos modes d’intervention. C’est un lieu qui tient beaucoup de controverses articulées ensemble. C’est un lieu qui comprend que les mots importent. On travaille beaucoup notre lexique quand on parle du trouble, de la crise, de difficultés, d’une trajectoire.

On est allergique aux prédictions oraculaires qui modélisent les parcours de celles et ceux qu’on suit au quotidien. On essaie de se méfier avec eux de ces prédictions qui diront qu’ils seront peut-être malades toute leur vie et devront prendre des médicaments. On sait aussi qu’il y aura des contraintes qui vont devoir être vécues et aménagées dans la vie de quelqu’un. Mais, on va essayer d’ouvrir un maximum l’horizon pour que ces personnes puissent se mettre en récit elles-mêmes, pas en déclinant leur parcours, mais en se mettant en récit dans du projet et en se demandant ce qui peut être possible dans l’avenir. On tente de rassurer les personnes découragées qui pensent qu’elles ne seront plus comme avant en leur faisant comprendre qu’elles peuvent être autre chose d’exaltant.

 

 

Rencontre avec Sara Meurant

DecolleursCinergie : Comment est né le collectif « Les Décolleurs » ?

Sara Meurant : C’est un collectif qui est né d’une envie de travailler le collage à plusieurs mains. L’idée n’est pas d’avoir un animateur qui dirige l’atelier, mais il s’agit plutôt d’un échange de savoirs et de techniques. Chacun amène une personnalité spécifique. On voulait faire des images en rapport à une thématique qui était une campagne de L’Autre lieu sur les médicaments. Au départ, on voulait faire un roman-photo sur le médicament. On a plutôt fait des collages à quatre-cinq mains en intervention différente. On n’a pas opté pour une narration linéaire. On s’est plutôt demandé ce qui faisait soin : l’échange, le renouveau, l’aléatoire. On a décidé de sortir un tarot, pas divinatoire qui a tendance à figer les choses. Ce tarot existe depuis 2018 et il est aujourd’hui disponible. Il contient 52 cartes avec toutes les arcanes, toutes inventées comme la fidélité, la grotte, le passeur, la science, la tristesse, la force, la fortune, le chemin, le conditionnement, la convalescence, etc.

Par la suite, on a voulu sortir de la 2D, de l’image classique pour donner plus de profondeur et de sens. Quelqu’un est venu avec une idée de plan (de collages en plusieurs dimensions). On a cherché avec plus ou moins de difficultés, on a eu ensuite envie d’approfondir les plans dans lesquels on pouvait se balader tout en continuant à faire de la 2D. On a fait plusieurs expos, par exemple au Pianocktail, à la galerie Sterput2. Avec le temps, on s’est dit que le fait d’avoir des images sous format A4 était trop formel donc on a opté pour d’autres formes moins linéaires qui ne doivent pas entrer dans un cadre. C’est plus un laboratoire qu’un atelier. On a décidé de faire ce « laboratoire » en commun parce que, souvent, les pratiques artistiques sont exercées de manière isolée. Ici, on peut être concentré tout en pouvant partager, se poser des questions sur le travail en cours.

C’est un collectif à géométrie variable et organique où les gens viennent, tout le monde est le bienvenu sans aptitudes spécifiques.

 

DécolleursC. : Une personne qui commence un collage le termine ?

S. M. : S’il a envie. L’envie initiale, c’était de travailler à plusieurs mains et ici, c’est plutôt des créations individuelles où l’apport collectif se fait par le questionnement, la demande d’avis. Il s’agit de choses personnelles créées dans une même temporalité : échanges de techniques, de connaissances, de glanages de matériel, d’images précieuses auxquelles on donne une deuxième vie. L’important, c’est vraiment d’ouvrir ces ateliers à toute personne intéressée par les questions de norme, de représentation, de perception, de folie dans la cité. Et, le collage permet vite, avec du matériel de qualité, d’avoir un rendu satisfaisant.

Ce n’est pas comme dans un centre de jour qui propose régulièrement des choses. Quand l’envie se fait sentir, c’est un collectif qui propose quelque chose. J’essaie d’agencer le calendrier de L’Autre lieu avec toutes ces propositions.

 

C. : Quand a lieu l’atelier collage ?

S. M. : On a commencé il y a 4-5 ans les premiers collages, on avait aussi participé à Ultramorphose, une des dernières campagnes de L’Autre lieu, avec de la 2D. C’était un atelier qui était très lié à un atelier de réflexion autour des notions de corps et d’esprit donc on a aussi écrit des textes. Nous sommes actuellement intéressés par ces univers dépliés parce qu’il y a eu une envie et de nouvelles personnes qui ont rejoint le collectif.

Les choses fluctuent tout le temps, sont connectées entre elles et font sens. Pour moi, L’Autre lieu est comme une grande boîte à outils et chaque personne qui passe la porte va y amener quelque chose de spécifique et fait bouger la dynamique collective.

Tout le monde est d’accord pour exposer sous le nom du collectif des « Décolleurs ». C’est positif d’appartenir à ce collectif mais les œuvres appartiennent aux personnes, contrairement à certains centres. On se met d’accord pour qu’ils puissent avoir des reproductions qui sont utilisables par tous et qui sont sur le site de L’Autre lieu.

 

DécolleursRencontre avec M, participante à l’atelier des « Décolleurs ».

C. : Comment êtes-vous arrivée ici ?

M : Je suis inscrite sur la page Bruxelles à Récup sur Facebook et j’ai vu une annonce qui disait qu’il y avait des pains à récupérer rue de la Clé. Je suis donc allée rue de la Clé et je suis arrivée à L’Autre lieu. Là, j’ai trouvé l’espace magnifique, j’ai posé des questions sur le fonctionnement du lieu et on m’a parlé d’un atelier collage. Cela faisait des années que je récoltais des images et je n’avais jamais osé me lancer seule. Je suis donc inscrite ici depuis quelques mois et je suis devenue accro.

 

C. : Comment se construisent vos collages ?

M : Je suis partie d’une image de base qui m’a inspirée et une image en amène une autre. Tout cela reste profondément lié à ce que l’on vit même si, parfois, ce n’est pas toujours cohérent. Ce que je trouve plaisant dans cet atelier, c’est qu’on peut entrer dans des moments de grande concentration. Comme c’est un travail minutieux, on travaille dans le silence tout en échangeant avec les autres, mais on revient vite sur notre travail.

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