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Quand les hommes pleurent de Yasmine Kassari

Publié le 01/12/2000 par Marceau Verhaeghe / Catégorie: Critique

On estime à trente mille les marocains qui, chaque année, tentent la traversée clandestine du détroit de Gibraltar dans l'espoir d'une vie meilleure où les attendraient réussite, fortune et considération. Quatorze mille sont interceptés et renvoyés au Maroc. 
Environ mille meurent noyés, et les quinze mille qui passent se retrouvent en Espagne sans papiers, sans protections, sans droits. La plupart resteront en Andalousie où se développe une agriculture grande dévoreuse de main d'œuvre à bon marché.
Coincés dans des conditions de précarité et d'exploitation extrêmes, leurs illusions se délitent dans la dureté du quotidien.
C'est à leur rencontre que part Yasmine Kassari. Moins pour témoigner d'une situation insoutenable que pour donner la parole à ceux dont on dénie le droit à une existence dans la dignité.

Quand les hommes pleurent de Yasmine Kassari

Eté 1998: après un mois de repérages, la jeune réalisatrice belgo-marocaine s'installe dans une ferme des environs de Murcie où se recréent des conditions de vie presque familiales. Là, viennent ces clandestins.

Et ils racontent: les attentes interminables aux guichets dans l'espoir de papiers qui n'arrivent pas, l'exploitation des patrons qui les font travailler comme des mules contre la promesse, jamais tenue, de leur obtenir ces mêmes papiers, la séparation d'avec les leurs, le rejet brutal de la part d'une population mal préparée à les accepter et prompte à faire de ces "moros" l'exutoire de leurs frustrations, les boucs émissaires de l'angoisse du lendemain. C'est le racisme, cette déshumanisation de l'autre, qui autojustifie les privautés les plus bestiales. Des voitures qui frôlent les cyclistes "maures", quand elles ne les percutent pas. Le refus de leur louer des logements, qui les conduit à s'entasser par centaines dans des baraquements où on ne parquerait pas du bétail. Quand cela ne débouche pas sur des émeutes, des pogroms, comme à El Egidio celles qui eurent lieu un an plus tard.

Cette horreur quotidienne, on la découvre dans le témoignage de ceux qui défilent devant la caméra, dans le poids terrible de leur regard. Car si Yasmine Kassari rend compte d'un état du monde, c'est indirectement. D'abord parce que les conditions de tournage in situ furent très difficiles, l'intimidation et la violence n'étant jamais bien loin.

Les brutalités que l'on fait subir à ceux que l'on ravale au rang de sous-hommes, on les réserverait bien aussi à ceux qui témoignent à leurs côtés. Ce n'est pas non plus l'ambition de la réalisatrice. Son but, c'est de donner la parole, comme on offre de l'eau. Et ils parlent: de leur vie, leurs buts, leurs doutes, leur désespoir. Outre l'horreur quotidienne, le film aborde ainsi la désillusion. La plupart voient bien qu'ils ont été bernés par l'image d'un "Eldorado" mythique, véhiculée par les média et par les "émigrés" revenus pour les vacances avec la voiture et l'argent.

 

Pourquoi alors rester coincés là, dans des conditions de vie pires que celles qu'ils connaissaient chez eux?

Dans l'espoir d'une vie meilleure, un "ailleurs" mythique sans cesse reporté ("L'Espagne, ce n'est pas encore comme ailleurs en Europe")?

Pour certains, oui. La plupart, cependant, disent la honte, le déshonneur de revenir de cette quête de la fortune sur un échec. Une punition sociale auto infligée qui les retient plus sûrement encore que les mauvais traitements ne les découragent.

Très peu de scènes d'action, très peu de commentaires, juste les témoignages. La cinéaste conçoit son film comme une ode au courage et à la force d'âme des premiers migrants. Ceux qui, loin de leur terre et de leur famille, s'accrochent, souvent dans les pires conditions dans un environnement hostile, avant de pouvoir s'installer.

Les poèmes du palestinien Mahmoud Darwich (1) qui parsèment le récit, l'histoire de l'infernale traversée du détroit racontée à la fin par un des immigrants en voix off sur des vues des barques fragiles qui affrontent l'immensité de la mer, tout cela donne aux images une dimension forte, presque poétique et confère au film une cohérence sémantique qui le situe au delà du reportage ou du simple témoignage.

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