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Ann Sirot et Raphaël Balboni, ambassadeurs de la Fête du court métrage 2024

Publié le 06/03/2024 par Malko Douglas Tolley et Vinnie Ky-Maka / Catégorie: Entrevue

Parrainée par Ann Sirot et Raphaël Balboni, cette 3e édition de la Fête du court métrage se déroule dans une multitude de lieux à Bruxelles et en Wallonie, du 20 au 26 mars 2024.  Créé et organisé par le Centre du Cinéma et de l’Audiovisuel de la Fédération Wallonie-Bruxelles, cet évènement vise à promouvoir le format court auprès d’un public qui dépasse les cinéphiles plus aguerris de festivals. Afin de faciliter la mise en place de cet évènement exceptionnel par les opérateurs intéressés par l’organisation d’une projection de ce type, 13 programmes "clé en main" sont proposés. Plusieurs sélections sont également prévues sur la plateforme Sooner.

Les 13 sélections de la Fête du court : le programme du FIFF, Le corps et esprit, Humour Belge, Fem’intimités - Regards féministes, Courts Mais Trash, Ne pas craindre l’apocalypse, Humour absurde et féroce, La carte blanche d’Ann Sirot & Raphaël Balboni, Décoloniser nos imaginaires, Complicités animées, Jeune public 3-6 ans, Jeune public 6-9ans, Jeune public 10-14 ans.

L’équipe de Cinergie est allée à la rencontre de ce duo, dans la vie comme au cinéma, couronné en 2019 du Magritte du meilleur court métrage pour Avec Thelma (2018). Quelques années plus tard, leur premier long métrage Une vie démente (2022) avait totalisé pas moins de 7 prix aux Magritte. Le Syndrome des amours passées (2023), après avoir reçu un bel accueil de la presse et du public lors de sa sortie en salles, est actuellement nominé aux Magritte 2024 dans les catégories suivantes : Meilleur film, Meilleure réalisation, Meilleur scénario, Meilleur espoir masculin (Lazare Gousseau), Meilleurs décors (Julien Dubourg), Meilleurs costumes (Frédérik Denis) ainsi que Meilleur montage (Sophie Vercruysse et Raphaël Balboni). Pour en savoir plus, revivez la visite de Cinergie sur le tournage de ce film en compagnie de Lucie Debay et Lazare Gousseau.

Quels sont les écueils et avantages rencontrés après avoir connu le succès avec un court métrage ? Existe-t-il un plafond de verre pour les femmes réalisatrices au cinéma ?  Quelles sont les pépites de la sélection 2024 de La Fête du Court ? Autant de thématiques abordées lors de cette rencontre passionnante avec Ann Sirot et Raphaël Balboni à deux pas de la place du jeu de Balles au cœur des Marolles.

Cinergie : Pourquoi être ambassadeurs d’un évènement comme La Fête du court métrage ?

Raphaël Balboni: Car on nous l’a proposé, mais ce rôle d’ambassadeurs nous convient bien puisque nous avons tout de même réalisé 8 courts métrages. 

Ann Sirot: Et peut-être aussi, car on a fait un court métrage alors qu’on avait déjà réalisé un long métrage auparavant. Souvent on pense que le court est uniquement un tremplin vers le long métrage. C'est également intéressant de réfléchir à comment ce format peut s'intégrer à d'autres endroits de la carrière des cinéastes. Il est important pour des réalisateurs de réfléchir à comment continuer d'explorer et d'inventer son langage cinématographique.

 

C. : Le court métrage est-il une étape obligée avant de réaliser un long métrage ?

A. S. : C’est un tremplin quasi inévitable parce qu’on est, a priori, obligé de pratiquer pour convaincre de notre talent. Il faut prouver qu’on est digne de confiance pour être soutenu dans des projets plus longs qui demandent plus d’investissements. Mais j’insiste vraiment sur l’aspect laboratoire dans le court métrage. Il est vraiment intéressant d’utiliser ce format au-delà du début de carrière.

R. B. : Pour nous, le court métrage est devenu un laboratoire. On a fait des courts métrages afin de répondre à notre envie de réaliser des films. Et le passage par le format court était l'accès le plus simple à la réalisation. Mais petit à petit, c'est devenu un vrai terrain de jeu où on a pu expérimenter. On se sentait vraiment à l'aise là-dedans. C’est probablement, car on avait besoin de tester énormément de choses qu’on a mis du temps à réaliser notre premier long métrage. Et le format court nous a permis de le faire. 

 

C. : N’y a-t-il pas malgré tout également un risque de rester coincé à l’étape du court métrage ou d’être catalogué dans un genre spécifique si l’on réalise certains types de courts métrages un peu trop expérimentaux ou qu’on ne passe pas à l’étape supérieure à temps ?

A. S. : Mais c'est quand même vraiment bien de continuer de pratiquer jusqu'au bout et pas de se dire que le prochain projet après un ou deux courts, ce sera forcément un long métrage. Si on s’impose à ne plus rien faire à part écrire son long, on peut se retrouver à ne plus jamais faire de plateau, à ne plus jamais être dans la réalisation, et ce durant des années. En ce qui nous concerne, on a mis du temps à trouver la porte d'accès pour réaliser notre premier long. On a malgré tout continué à réaliser des courts parce qu’on souhaitait continuer à pratiquer. Le choix n’était pas d’en réaliser plein avant un long, mais plutôt de ne pas rester uniquement derrière l’ordinateur et de continuer à pratiquer et apprendre en attendant de pouvoir réaliser notre premier long.

 

C. : Parfois, un court métrage a beaucoup de succès et certains réalisateurs veulent absolument que l’idée du court soit prolongée en format long métrage. Quelles sont les clés pour adapter un court métrage réussi en long métrage ?

A. S. : Nous, personnellement, on n'a jamais fait ça. En revanche, Delphine Girard a suivi cette trajectoire avec Quitter La Nuit (2023). Elle est vraiment partie de son court et a ensuite voulu prolonger son travail, son univers ainsi que ses personnages pour en faire un long.

R. B. : Et surtout, elle a réussi. Personnellement, j’avais beaucoup aimé le court et je me demandais si ça fonctionnerait aussi bien sur 1h30 quand je suis allé voir le long (actuellement en salles de cinéma). Et c’est superbe, ça marche. En plus, elle utilise même, si j’ai bien compris, des images de son court dans le long. C’est rare de réussir à faire ça aussi bien.

 

C. : Nous nous sommes rendus à Gand il y a quelques semaines pour la sortie de The Last Front  de Julien Hayet Kerknawi. Son film s’inscrit exactement dans cette démarche. Il avait été invité à Cannes pour son court sur le même sujet en 2014. Ensuite, il a travaillé 10 ans pour réaliser son long sans réaliser de court entre-temps.

R. B. : C’est compliqué quand il y a eu beaucoup de succès sur un court métrage de rebondir. Nous avons des collègues belges qui ont eu le César, comme Rémi Allier ou Nicolas Guyot par exemple. Et il se trouve que j’en avais parlé avec Rémi Allier il n’y a pas si longtemps. Basile Villemin était également présent. Il allait aux Césars pour Les Silencieux, son superbe court métrage en lice pour les Magrittes cette année.  Et Rémi lui expliquait que ce n’est pas évident de gérer les sollicitations quand on obtient un prix important, ce qui est d’autant plus vrai avec les Césars. Pour Rémi, il a eu de nombreuses propositions, mais son scénario n'était pas encore assez avancé. Et cette agitation est compliquée à gérer. Les films belges francophones qui font une belle carrière internationale sont nombreux. Delphine Girard a également eu beaucoup de succès avec son film. Rémi Allier avait gagné le César et Pablo Munoz Gomez était nominé la même année. Il y a beaucoup de films belges dans les festivals étrangers, et je pense que c’est grâce notamment à la bonne qualité de nos écoles de cinéma. On produit une vingtaine de films par an et parmi ceux-ci, il y a beaucoup de qualité. 

 

C. : Je pense que le cinéma belge reste encore inaccessible à certains publics plus néophytes et c’est justement dans ce contexte que des évènements comme La Fête du Court permettent d’ouvrir ce cinéma de qualité à un public plus large. Pensez-vous que le cinéma doit se réinventer et que ce type d’initiatives doit se multiplier afin de toucher plus de publics ?

A. S. : C’est hyper important qu'on garde une grande diversité dans le cinéma, et ce à plusieurs niveaux. Le plus grand danger pour le cinéma, à mon sens, c’est qu’on entre dans une forme d'homogénéisation. Et je dis ça, car on est vraiment poussé vers des modèles assez homogènes, surtout quand on fait un long avec des financements plus importants.  On a une énorme pression pour avoir un casting avec des comédiens connus.  Les cinéastes gardent bien entendu leur personnalité et leur manière de faire. Mais si on tourne toujours avec les mêmes 40 acteurs et même réalisateurs, on finit inéluctablement par faire des choses qui se ressemblent. Je trouve ça vraiment dommageable pour la diversité du cinéma. Le cinéma doit rester aussi varié que les humains en quelque sorte. Il faut se remettre en question, nous y compris. Les personnes qui réalisent des films ne reflètent pas assez la diversité de la société. Il y a un énorme travail à faire pour que le cinéma reflète la complexité de la communauté. 

R. B. : Ce qui est bien avec du cinéma plus local, comme celui mis en avant durant La Fête du Court, c’est que ce sont des réalisations qui parlent de réalités connues par le public et les réalisateurs. Tous les courts métrages belges ne sont pas tournés en Belgique, mais la plupart le sont. Les lieux et les problématiques sont familiers et elles correspondent à notre société. Les sujets sont plus locaux et moins éloignés que les réalités abordées dans des séries américaines par exemple. Cela étant, je consomme également ces séries et il y a de belles choses. Il ne faut pas tout jeter. Il faut juste diversifier. 

 

C. : Pour en revenir à la Fête du Court qui se déroule dans quelques semaines, pouvez-vous nous dévoiler les films que vous avez sélectionnés dans votre carte blanche ?

R. B. : Notre sélection n’est pas limitée à l’année passée et en cours. Nous pouvions y mettre ce que nous voulions. On a sélectionné des films qu’on avait vu par le passé en essayant de proposer un mixte entre animation, fiction et documentaire.

A. S. : On voit beaucoup de films grâce à nos propres films. Lorsque nos courts sont repris dans une sélection, on essaie de voir les autres diffusés en même temps. Notre carte blanche se compose de films qui avaient croisé notre chemin depuis quelques années.

R. B. : Il y a Lia Bertels et son film On n'est pas prêt d’être des superhéros.  Il s’agit d’un superbe film d'animation. Nous l’avions vu au festival du cinéma belge à Nîmes, en Garrigue, en plein air.

A. S. : C’était vraiment génial comme ambiance. Le public était pété de rire. Le public était tellement réactif lors de la diffusion de son film d’animation! On a dès lors voulu l’ajouter à notre carte blanche.

R. B. : En film d’animation également, on a sélectionné Simbiosis Carnal de Rocio Alvarez. C’est une cinéaste que l’on connaît bien. Elle a réalisé une fresque murale dans notre dernier film. On a beaucoup apprécié son court métrage.

A. S. : Son univers visuel est vraiment dingue. On a également sélectionné Alice et moi, de  Micha Wald. C’est un ancien film, mais il nous avait tellement plu! Et le brillant Vincent Lecuyer, un collaborateur régulier, y joue.

R. B. : Ensuite, il y a Zouf (2015) réalisé par le trio Boccara, Reutenauer et Vekemans. Je connais bien Tom Boccara, car j'étais son prof à l'IAD lors de son film de fin d'études. Je pense qu’il s’agit de son premier film réalisé juste après sa sortie d’école. C’est un film hyper touchant et décalé. Pour conclure, on a décidé de mettre Marcher dans la nuit (2018) dans la sélection. On a réalisé ce court métrage après avoir gagné le Magritte pour Avec Thelma (2018). Pour l’anecdote, les Césars invitent tous les réalisateurs du monde entier à une rencontre exceptionnelle. Que ce soit le Magritte, le César, le Goya ou le Bafta de tous les pays, un représentant par pays est convié. On a fait un voyage de 10 jours sur 3 villes européennes à cette occasion. Et on devait tous venir avec un nouveau film sur la thématique de la nuit. Chacun était donc venu avec son petit film.

A. S. : C’est rigolo. C’est comme une grosse colonie. Il y a un représentant de chaque pays. Il y a donc la Norvégienne, l’Islandaise, le Brésilien, etc. Et nous, on était le duo belge. On nous demande de réaliser quelque chose très rapidement avec un microbudget. On trouvait ça marrant et on a donc réalisé ce microfilm.

R. B. : La trame se passe dans les marolles. Il y a un côté très bruxellois au film. On s’est dit que La fête du Court constituait une bonne occasion pour le montrer à un public plus large.

 

C. : Y a-t-il d’autres films présents au sein d’autres sélections que vous souhaiteriez mettre en avant pour leur qualité ou leur originalité ? On pense par exemple à des films comme l’Ours noir (2014) de Meryl Fortunat-Rossi et Xavier Seron que l’on retrouve dans la sélection Humour absurde et féroce

Raphaël Balboni: Xavier Seron et Meryl Fortunat-Rossi, ce sont des collègues que l’on connaît très bien. Xavier ne fait que des films en noir et blanc habituellement. Il me semble que Meryl a réussi à le convaincre de réaliser son seul film en couleur.

A. S. : C'est un super tandem, Xavier et Meryl. On connaît très bien les travaux qu'ils ont faits ensemble, mais également chacun de leur côté. Et je trouve que l'Ours noir (2015), c'est vraiment un truc où ils ont réussi à faire converger leurs univers et leurs énergies de façon hyper efficace. C'est vraiment un film très détonnant. C’est puissant et efficace. On recommande.

Raphaël Balboni: Je me rappelle la première projection de l’Ours noir (2014). C’était au Short Film Festival. Les spectateurs étaient complètement marqués en sortant de la salle. Il s’était vraiment passé quelque chose d’assez puissant. Le film a ensuite gagné plein de prix et il a obtenu le Magritte. 

 

C. : Une sélection spéciale FIFF Festival est également à l’affiche de la Fête du Court Métrage 2024. Alors que les films sont de plus en plus vite en ligne, pensez-vous que les festivals continuent de jouer un rôle important dans le cycle de vie et de diffusion des courts métrages ?

R. B. : Que ce soit le FIFF ou d’autres festivals, c’est intéressant de leur donner des cartes blanches pour défendre les films qu’ils ont sélectionnés. Certains festivals proposent des films très différents et participent à cette diversité de projections.

A. S. : Cela reste hyper important d'avoir des festivals locaux, qu’ils soient gros ou plus petits. Les cinéastes ont besoin d’avoir des plateformes qui les défendent. Les festivals font partie des premières instances où on présente nos travaux. Souvent un film doit se faire remarquer en festival avant d’accéder ailleurs. Il n’y a jamais trop de fenêtres pour présenter les films.

R. B. : Surtout en ce qui concerne le court métrage qui est essentiellement visible sur des plateformes ou dans des évènements comme La Fête du Court ou lors de festivals. Les gens savent qu’ils vont voir des courts et ils prennent un rendez-vous annuel dans certains festivals pour découvrir le travail des cinéastes.

 

C. : Avec l’émergence des plateformes de streaming et durant la pandémie, de nombreux festivals ont craint pour leur avenir et que les distributeurs se passent de cette étape jusqu’alors indispensable à la visibilité de certains films.

A. S. : Les festivals ne peuvent pas disparaître, c'est hyper important. Mais même pour les plateformes, on voit bien que quand Netflix produit un film, ils ont aussi envie d'être à Cannes ou à Venise. Tu peux réaliser un film et le mettre sur une plateforme, mais tu es rapidement noyé dans la multitude de choix. Ça ne suffit pas d'être sur une plateforme. Pour intéresser le public, il faut lui montrer que la production est un objet intéressant, digne d'intérêt.

R. B. : Ensuite, le festival ou un évènement comme la Fête du court, c’est un endroit où les cinéastes sont présents lors des projections. Après la projection, il y a souvent une rencontre entre les équipes, les comédiens, les réalisateurs et le public. Ce côté vivant fait également partie du cinéma. Il y a ce côté événementiel où l’on va voir une séance et une sélection de films. On ne va pas voir un film en particulier, mais on va découvrir des films et se laisser surprendre. Je pense que les plateformes n’amèneront jamais cet aspect découverte du cinéma.

 

A. S. : J’aimerais également aborder un sujet qui me tient à cœur si vous n’y voyez pas d’objections. Il s’agit du #meetoo dans le monde du cinéma et de la manière dont la pratique du court métrage peut faire avancer les choses.

C. : Bien entendu, le #meetoo est un sujet important et nous sommes ravis de l’aborder avec vous en ce qui concerne le monde du cinéma. En quoi le court métrage peut-il avoir un impact sur l’évolution des pratiques abusives dans le monde du cinéma ?

A. S. :  Le problème est inhérent au système et à la manière dont on travaille dans le cinéma. Le souci c’est l’organisation et la hiérarchisation. La hiérarchisation favorise les formes de domination et l’emprise de certaines personnes sur d’autres. C’est la manière dont les choses sont organisées qui crée des climats malsains. Et j'ai l'impression que par la pratique du court métrage, et pas uniquement en début de carrière comme nous l’avons déjà abordé, on peut explorer de nouveaux univers ou des choses nouvelles impossibles à essayer dans des projets plus ambitieux. Je pense qu’il en est de même quant aux méthodes de travail. La pratique du court métrage peut servir de laboratoire pour les plateaux et leur fonctionnement. Je pense qu’il faut vraiment saisir cette remise en question. En réalisant un court métrage, il y a vraiment de l'espace pour dire qu’on va essayer une nouvelle méthode et de changer les choses traditionnelles qui ne fonctionnent plus ou ne correspondent plus aux valeurs modernes que l’on tente d’insuffler dans nos sociétés. Il y a des rouages du métier qui sont devenus très dysfonctionnels et il faut que les gens du métier proposent de nouvelles manières de fonctionner. Et en tant qu’ambassadeurs de la Fête du Court Métrage, j’ai envie de faire passer ce message et d’encourager les personnes à être forces de propositions.

 

C. : En termes de visibilité des femmes au cinéma, on voit vraiment énormément de femmes qui proposent des courts métrages et qui gagnent des prix chaque année dans les compétitions de courts. En ce qui concerne la réalisation de longs métrages, on voit de plus en plus de femmes qui ont des films qui sortent en salles de cinéma. Vrai signal positif ou leurre, qu’en pensez-vous ?

A. S. : En ce qui concerne les genres, c'est un sujet extrêmement épineux parce que pendant très longtemps, on entendait des choses extrêmement vexantes du type qu’il y a peu de femmes qui sont sélectionnées dans les festivals parce qu'on veut de la qualité. Le mouvement a démarré, on ne peut pas parler d’égalité à l’heure actuelle, mais ça évolue. Une étude réalisée par des étudiants de l’ULB a montré qu’il existe un plafond de verre du 3e long métrage pour les femmes en Belgique. Il est extrêmement rare qu’une femme parvienne à tourner un troisième long métrage. Il y a Chantal Ackermann et Marion Hänsel qui ont réussi à le faire, puis un vide étrange et quasi plus une seule réalisatrice avec plus de deux longs métrages. 

 

Cinergie.be : En ce qui vous concerne, vous êtes en duo, mais avez-vous également ressenti ce sexisme dans le cinéma ?

A. S. : En fait, on n'est jamais vraiment épargné, c’est juste que vu que je suis en duo avec Raphaël, ça ne me touche pas de la même manière qu’une réalisatrice solitaire qui est seule face à un monde plutôt sexiste. On va remettre leur légitimité et leur capacité à être à la hauteur en cause. On va les soupçonner d'incompétence et il va falloir se battre contre les préjugés. C’est épuisant et très vexant ce type de dynamiques. Je pense que c’est probablement pour ça que plusieurs réalisatrices lâchent mentalement après un moment et c’est peut-être la raison de ce plafond de verre du troisième film. Dans un binôme homme/femme comme c’est le cas pour nous, le problème se pose différemment. Peut-être que je dois parfois me battre un peu plus que Raphaël pour mon statut.

R. B. : On a déjà eu souvent des rendez-vous, notamment un avec un producteur français, qui ne parlait qu’à moi. Que ce soit au niveau des collaborateurs, des techniciens, nous sommes vraiment attentifs à travailler qu'avec des gens qui partagent nos valeurs.  

A. S. : Ce sont comme de mauvaises traditions qui persistent. Les gens imaginent que ce sont des choix politiques ou que tu veux absolument imposer une forme de modernité sur le plateau. En réalité, tu essaies juste que les choses se passent bien avec le moins de remous possible. Après, la domination, qu’elle soit sexuelle ou non, ce n’est pas l’apanage des hommes non plus. C’est parfois aussi compliqué pour les hommes de s’exprimer. La domination au travail, ça crée des climats vraiment pourris et on essaie d’éviter ça autant que possible dans nos projets.

 

C. : Comme nous l’avons déjà dit, de nombreux courts métrages sélectionnés cette année à la Fête du court ont déjà remporté un Magritte du cinéma. Pensez-vous que la participation à des festivals et le fait de gagner des prix soit super important dans le parcours d’un réalisateur ?

R. B. : Oui, c’est certain que le fait de remporter un prix comme le Magritte, ça ouvre des portes. Le fait que le grand public entende parler de ces films, ça lui donne envie de les voir bien entendu. Et ensuite, quand on fait du cinéma d’une manière un peu différente, le fait de recevoir un prix comme le Magritte, ce qui fut le cas pour Avec Thelma (2018), ça veut dire que les professionnels ont aimé le film et qu’ils ont voté pour. Donc, ça revient à dire qu’ils ont cautionné cette manière très particulière qu'on avait de faire du cinéma. Du coup, lorsqu’on est passé au long avec Une vie démente (2020), ça nous a encouragés à poursuivre dans cette voie.

A. S. : C’est difficile de déterminer les conséquences d’un prix. Certains ont cru qu’on a obtenu le financement de notre deuxième long grâce aux Magritte du premier. Mais en fait, les financements étaient déjà trouvés quand on a eu les prix. Mais c’est vrai que ça octroie plein de petits avantages collatéraux et que l’impact sur le grand public est véritable. Et ça a également beaucoup d’impact à l’étranger. Quand on se rend à l’étranger, en Europe, mais même ailleurs, le fait d’avoir des prix obtenus dans son pays, ça a beaucoup de valeur.

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