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Interview de Philippe Branckaert, SuperNova Coop

Publié le 14/03/2024 par Gauthier Godfirnon et Vinnie Ky-Maka / Catégorie: Entrevue

Philippe Branckaert travaille depuis une vingtaine d’années au Nova et a vécu tout le développement de ce merveilleux projet de films alternatifs bilingues qui portent sur beaucoup de questions fondamentales de société. Il revient avec nous sur la Supernova Coop et sur la campagne lancée en octobre dernier pour sauver le cinéma d’une fermeture possible à cause de la pression immobilière.

Cinergie : Pourquoi est-ce important que le Nova et son cinéma alternatif persistent ?

Phillippe Branckaert : Il est unique à notre époque, en tout cas en Europe. Je ne connais pas les cinémas en dehors du continent. Le Nova connaît déjà quelques cinémas indépendants dans plusieurs pays européens. Quand on est arrivés au sein du Nova bruxellois, c'était déjà un ancien cinéma fermé depuis dix ans. On voulait un lieu central à Bruxelles avec un vrai volume de cinéma. Il se trouve en effet à quelques centaines de mètres de la Grand-Place et dispose d'une salle de 200 places avec un balcon. À l'époque, il se fait que très vite, la banque a accepté qu'on s'établisse de manière précaire pour deux ans dans les lieux. On a reçu un peu d'argent pour la rénovation, pour mettre le bâtiment aux normes. Il y avait déjà pas mal de bénévoles dans l'équipe et on a ouvert un cinéma d'urgence. Notre bail "précaire" gratuit a duré une année de plus. Ensuite, on a senti qu'on pouvait s'installer pour longtemps dans les lieux. On a dès lors fait appel au pouvoir subsidiant pour recevoir des subsides structurels. Toujours est-il qu'on se rend compte que c'est hyper précieux de disposer d’un espace de ce genre en plein centre-ville, facilement accessible, où on propose des films qu'on ne trouve nulle part ailleurs. En outre, on appelle notre public les usagers du Nova. Le Nova n'est pas juste important pour les cinéphiles ou pour ceux qui aiment le cinéma différent. Nous sommes dans un réseau associatif et nous sommes déjà considérés par beaucoup comme une institution à Bruxelles. Ils ne nous imaginent pas disparaître. C'est un lieu ouvert d'expression qui ne suit pas la normalité, en tout cas qui n'est pas poussé à faire la même chose que les autres. On a cette indépendance et cette possibilité de faire écho, de montrer des films qui ont droit à un grand écran. C'est un lieu très convivial, notre bar est l’un des moins chers de Bruxelles. Nous y organisons aussi plein d'expositions. Être dans une salle puis partir chez soi, ce n'est pas logique non plus selon nous. Il faut que les gens se parlent; le médium film provoque des débats, permet de lancer certaines discussions et c'est ça qui fait qu'on fait sens dans une ville multiculturelle comme Bruxelles.

 

C. : D'après vous, en quoi les films que vous proposez se démarquent de ce qui est proposé dans les salles de cinéma « traditionnelles » à Bruxelles ?

P. B. : On propose essentiellement les films qui ne sont pas distribués en Belgique. Notre pays étant petit, il y a très peu de distributeurs et ils se trouvent en général dans des circuits dits commerciaux, même pour ce qui est des cinémas d'art et essai. Nous allons chercher des films plutôt indépendants, en tout cas dans des circuits qui ne passent pas par ici. Bien sûr, de temps en temps, on peut montrer des films classés art et essai mais en général, on montre des films différents. On prône la diversité sans être concurrentiels avec les autres cinémas. Notre cinéma est aussi très précieux par rapport au cinéma belge car nous montrons pas mal de films nationaux, notamment des films d'atelier qui n'ont pas droit à des écrans au centre-ville et qui passent directement dans des filières comme celle des centres culturels. Nous essayons de bien encadrer les films qu'on propose. On développe des programmations thématiques, ce qui fait parfois qu'on propose des films qui ont peut-être déjà été projetés à Bruxelles, mais en général ce n'est pas le cas. Ces programmations thématiques présentent souvent des questionnements liés à la ville, à la société pour donner une voix aux minorités et aborder d’autres thèmes que l'argent ou la réussite dans la vie par exemple. Nous sommes réellement dans un schéma de réflexion et de discussion avec le public et avec les réalisateurs. On reçoit aussi beaucoup d'invités.

 

C. : Dans quelle mesure êtes-vous soutenus par les pouvoirs publics ?

P. B. : Il y a quelques années, nos subventions structurelles du secteur audiovisuel de la FWB ont étonnamment baissé. On a essayé de savoir pourquoi, sans jamais recevoir de réponse satisfaisante. En même temps, on a cherché des subventions extraordinaires pour compenser cette perte d’entrée qui a duré quatre ans et était de l'ordre de vingt mille euros par an. On a pu recevoir des subventions supplémentaires de la part du secteur de l'éducation permanente de la FWB, mais ces subventions nous demandaient encore plus de boulot. A un moment on a dû abandonner parce que nous sommes tout de même bénévoles. C'était impossible de travailler encore plus pour rattraper ce manque budgétaire. Nous recevons également des subventions de la Région flamande. Pour les recevoir, on doit aussi remplir des critères en remplissant des dossiers, en fournissant des rapports pour justifier l'utilisation de cet argent qui nous permet de louer le lieu, de programmer, de pouvoir subvenir aux charges très importantes. Finalement, le Nova apporte un quart du budget général via le bar et les entrées, qui sont à un prix relativement bas par rapport aux autres cinémas. On tient à ces tarifs démocratiques. L'équipe reste entièrement bénévole, à l'exception d'un poste en C.D.I. pour la comptabilité et de cinq postes dits tournants qui permettent aux bénévoles de subvenir à leurs besoins. 

Nous essayons toujours de recevoir plus d'argent du côté des institutions, mais malheureusement les enveloppes sont fermées. On doit faire avec, malgré les crises énergétiques, etc. Bien sûr, on peut être aidés, mais c'est toujours de façon décalée. Nous avons déjà dû nous serrer la ceinture au cours de plusieurs années. Lors des accords financiers avec les distributeurs et autres, on marchande, on met en avant le fait que nous ne sommes pas une structure commerciale. Parfois, à l'extérieur, ils ne comprennent pas comment un lieu où les gens travaillent de façon bénévole peut exister.

 

C. : Comment avez-vous lancé la Supernova Coop ?

P. B. : Au bout des quatre premières années du Nova, depuis qu'on a des propriétaires successifs, on a eu pas mal de chance et on a pu payer un petit loyer, de l'ordre de dix mille euros par an, loyer qui n'a pas évolué jusqu'à aujourd'hui. À un moment donné, il se fait qu'on a sous-loué la salle à la Communauté flamande. Elle l’a ensuite revendue et là il s’agissait d’une emphytéose qui garantissait que pendant une bonne quinzaine d'années, on pourrait continuer à collaborer avec plein d'ASBL qui ont occupé des bureaux. Lorsque ce nouveau propriétaire a voulu revendre son emphytéose, on s'est dit que le propriétaire suivant pourrait nous foutre à la porte après 2024. On a donc créé en 2017 une coopérative dans l'intention d'acheter les lieux après avoir fait des démarches auprès du propriétaire qui nous avait dit oralement qu'il voulait bien nous vendre uniquement la partie cinéma, mais il se fait que la pandémie est arrivée. Il y a eu aussi des problèmes administratifs et à un moment donné, on a entendu presque par hasard que le bâtiment avait été finalement vendu aux Galeries Saint-Hubert. On a par conséquent refait toutes les démarches auprès d'elles, en évoquant qu'on avait créé une coopérative et qu'on voulait acheter les lieux. À force de persuasion, mais aussi de négociation, car ils étaient frileux au départ, ils ont accepté le principe. On a pu signer une convention et lancer une campagne d'appel de fonds auprès du public. On s'est dit que la solution de la coopérative était la plus adaptée, car de cette manière, tous les spectateurs achètent leur lieu fétiche. Et si vraiment ils aimaient le Nova, on était sûrs que l'opération allait fonctionner. Avant la campagne publique, on a d’ailleurs mené une campagne privée. On a ainsi pu recevoir 300 000 euros de départ. Si on avait commencé une campagne publique sans un sou en caisse et se dire qu'on devait atteindre près de 800 000 euros, cela aurait semblé impossible à de nombreuses personnes. Pendant quelque temps, on a donc démarché de manière privée. Les coopératives agissent de la sorte en général, car les campagnes publiques nécessitent beaucoup de contraintes. Mais on se devait de faire cette campagne publique, car le Nova est un projet collectif.

 

C. : La coopérative a-t-elle été à la hauteur de vos espérances pour le moment ?

P. B. : Plus qu'à la hauteur puisqu’on va certainement finir la campagne avant son terme, c'est-à-dire qu'on avait prévu une campagne de cinq mois qui a commencé le 25 octobre en 2023 et qui doit se finir fin mars 2024. On y est presque. C'est dans trois semaines, mais il se fait qu'au début de l'année, on a vu le compteur remonter tous les jours de plus d'un millier d'euros. On a toutefois récemment refait le calcul du plan de financement et on s'est aperçu que le devis du changement de la chaudière, les frais administratifs, les frais de la campagne en elle-même et les frais de gestion de la coopérative ont augmenté, à cause de l'inflation ou du succès même de la coopérative. On a en effet quand même près de 3000 coopérateurs et coopératrices. Il va donc falloir gérer tout ça. Ça coûtera plus cher. Ça fera environ 40 000 euros de plus que prévu. Si on n’avait pas dû payer ces sommes supplémentaires, ça ferait deux, trois jours qu'on aurait atteint la somme à atteindre. On doit maintenant atteindre 833 700 euros et on est pratiquement certains qu'à la fin du mois, on aura atteint ce chiffre. Je peux toutefois déjà annoncer qu'on va continuer la campagne quand bien même on aura atteint le chiffre. Cet appel de fonds peut persister jusqu'au 8 juin, mais bien sûr, on ne fera plus une campagne, on annoncera seulement ceux et celles qui veulent prendre des parts. Les coopérateurs peuvent encore le faire jusqu'à cette date pour prendre le train en marche. Ça permettra de collecter un peu d'argent dès la première année et de pouvoir économiser pour les prochains travaux. Dans quelques années, il faudra probablement rénover le toit et plein d'autres choses. La coopérative va donc détenir le bâtiment et permettre au Nova de payer un loyer le moins cher possible. C'est donc surtout une gestion annuelle qu'il va falloir réaliser pour savoir comment informer tous ces coopérateurs, comment organiser une assemblée générale, comment prendre des décisions, etc. On pense organiser cette première assemblée dès le mois de juin. Maintenant nous nous concentrons sur le festival Offscreen et puis on enchaînera avec une programmation printanière sur dix semaines, ce qui est du costaud.

 

C. : Comment faites-vous la promotion de la coopérative ?

P. B. : On a créé une équipe qui s'est vue toutes les semaines puis toutes les deux semaines. Il s'agit d'une dizaine de personnes qui restent pratiquement les mêmes, 70 ou 80 % des membres de cette équipe travaillant au Nova. On a même engagé des personnes qui s'occupent de la communication, des réseaux sociaux en plusieurs langues, puisque nous communiquons en français, en néerlandais et en anglais. On a également créé un site internet. Ça demandait beaucoup de temps, d'investissement et d'argent puisqu'on a mené cette campagne grâce à des affiches, à la presse, aux réseaux sociaux. On a réalisé un clip. C'est quelque chose qu'on n’avait jamais fait et ça a nécessité de la préparation. On a contacté plein d'associations, de coopératives qui sont passées par là. On a reçu beaucoup de conseils qu'on a appliqués carrément à la lettre. Une fois que la machine était en route, ça a été tout seul, même si certains sont toujours au front comme on dit.

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