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Mascha Halberstad, réalisatrice de Fox and Hare Save The Forest

Publié le 07/03/2024 par Malko Douglas Tolley et Antoine Phillipart / Catégorie: Entrevue

Une semaine après la première mondiale de son nouveau film d’animation pour enfants intitulé Fox and Hare Save The Forest (2023), que l’on pourrait traduire par Renard et Lapine sauvent la forêt, la réalisatrice hollandaise Mascha Halberstad était présente au festival Anima 2024. Après le succès international de son film Un amour de cochon (2022), nombreux étaient ceux à attendre son nouveau animé sans se douter qu’il sortirait si rapidement. Cinergie est allé à sa rencontre dans les loges du magnifique bâtiment Flagey de Bruxelles (interview traduite de l’anglais).

Cinergie : Quelle fut la réaction du public lors de la première mondiale de Renard et Lapine sauvent la forêt à Berlin ?

Mascha Halberstad: Les réactions furent incroyables. Les enfants ont été beaucoup plus enthousiastes et expressifs que je ne l’avais imaginé. Le lendemain de la première mondiale, on a eu une projection avec 300 enfants. Ils tapaient dans les mains en hurlant. C’est pour ce type de réactions qu’on le fait et ce fut tout simplement incroyable.

 

Cinergie.be : Pouvez-vous nous expliquer le sujet du film ?

Mascha Halberstad: Mon film raconte l’histoire d’un groupe d’animaux qui vivent ensemble dans une forêt. Un jour, un castor débarque et il construit un barrage. La forêt se retrouve inondée. Ensuite, il y a plein d’animaux, dont deux rats qui vont avoir de l’importance dans l’intrigue. Le film raconte l’histoire des personnes qui perdent leur maison à la suite d'une inondation ou une catastrophe naturelle. Mais surtout l’importance de l’amitié et de la solidarité dans une telle situation.

 

C. : Dans Un amour de cochon, vous mettiez en évidence certains dysfonctionnements ou aberrations présents dans l’industrie alimentaire, notamment par rapport à la manière dont on fabrique des saucisses. Quel est le message dans ce film ? Pourquoi avez-vous décidé d’aborder cette thématique du climat à travers les inondations et leurs conséquences ?

M. H. : Comme vous le savez, je suis Hollandaise et les Pays-Bas se trouvent en dessous du niveau de la mer. Notre pays est très concerné par les inondations. Il y a un message environnemental dans le film, mais je ne voulais pas qu’il prenne trop d’importance non plus. Le sujet central du film est l’amitié et l’entraide dans des situations de catastrophes.

 

C. : Vous réalisez vos films de manière que la trame soit drôle et amusante pour les enfants, mais également intéressante pour les parents. Vos films offrent plusieurs lectures suivant l’âge et la compréhension du spectateur. Comment faire pour réaliser des films pour enfants qui ne soient pas rébarbatifs pour les adultes ?

M. H. : Je suis maman d’un grand enfant qui a déjà 18 ans maintenant. Nous avons été souvent au cinéma quand il était plus jeune. Il n’y a rien de pire qu’un film pour enfant imaginé uniquement pour les enfants sans avoir pensé aux parents qui sont dans la salle. La clé pour réaliser un bon film pour les enfants et les parents réside dans la performance des acteurs et la crédibilité des voix. Avec de bonnes voix et de bons dialogues, les parents vont adhérer. Ensuite, je ne fais pas des films pour enfants où tout est mignon et gentil. Mes films ne visent pas à faire pleurer les enfants, bien évidemment, mais j’aime montrer la réalité de notre monde. Je ne vise pas des films politiquement corrects. Les enfants comprennent beaucoup plus de choses qu’on ne le pense. Les normes sont parfois étranges au cinéma. Les enfants peuvent voir les pires atrocités sur Tik Tok et Instagram, mais dès qu’on réalise un film, on devrait se limiter et à ne montrer que des choses drôles. J’ai un tempérament un peu anti-autoritaire. S’il y a des règles que je juge trop strictes ou contre-productives, je n’hésite pas à les outrepasser et à repousser la limite un peu plus loin. Il ne faut pas trop infantiliser les enfants non plus, ils sont capables de comprendre.

 

C. : D’où vous est venue l’inspiration pour les personnages ?

M. H. : Le film se base sur la série très connue de l’autrice hollandaise Sylvia Vanden Heede. Les personnages sont directement issus de la série. De mon point de vue, la lapine (ou le lièvre si l’on traduit littéralement de l’anglais Fox & Hare) est le personnage le moins intéressant dans l’histoire. En revanche, Tusk (le sanglier) a pris beaucoup d’importance dans mon film. C’est Rob Rackstraw qui lui donne sa voix, comme au castor et à l’un des rats d’ailleurs. Dans mes films d’animation, les personnages se développent toujours à partir des voix et des comédiens qui les interprètent. La tonalité allemande de sa voix et d’autres éléments du film proviennent des improvisations du comédien. Ce personnage a tellement évolué qu’il est devenu culte pour moi. Il a pris de plus en plus d’importance dans l’histoire.

 

C. : D’autres anecdotes sur d’autres personnages du film ?

M. H. : Le castor était un personnage extrêmement narcissique. Je ne trouvais pas ça très intéressant pour mon film. J’en ai parlé avec Rob. Je voulais que le personnage devienne un mélange de Donald Trump et Owen Wilson. On a ensuite créé une voix avec Rob afin de correspondre au personnage que je voulais avoir dans mon film. Les rats étaient censés avoir des origines mexicaines. Mais le message qui associait Mexicain et rat n’était pas envisageable et on les a transformés en Peaky Blinders. C’est très important dans mon procédé de création de regrouper tous les acteurs ensemble au même endroit au tout début du film. C’est comme ça qu’on a procédé pour l’évolution des personnages. Les comédiens ont joué ensemble devant moi. On a essayé des choses jusqu’au moment où je me suis mise à rire. Une fois que j’ai trouvé que ça devenait amusant et rigolo, c’était bon et je savais que ça fonctionnerait au niveau de l’animation. On débute toujours par la fixation des voix quand on réalise un film d’animation.

 

C. : Pourquoi est-ce si important de fixer les voix rapidement dans un film d’animation ?

M. H. : C’est capital que les voix soient bonnes, qu'elles soient justes, pour la crédibilité du film auprès des adultes. Mais c’est également très important pour les animateurs. Ils vont trouver l’inspiration et des idées pour faire évoluer les personnages à partir du travail des comédiens et des voix. Si les animateurs accrochent aux voix, ils seront beaucoup plus inspirés et ils auront plus d’idées à développer. Finalement, la plus-value se ressent à tous les niveaux et le gain sur le résultat final du film est assez important.

 

C. : Ce projet est une coproduction entre 3 pays (Pays-Bas, Luxembourg et Belgique). Pouvez-vous nous en dire plus sur la répartition des tâches et le rôle des studios bruxellois de Walking The dog dans le projet ?

M. H. : L’animation et de nombreux accessoires ont été réalisés aux Pays-Bas et au Luxembourg. Les layouts ont été créés au Luxembourg. L’éclairage, le compositing ainsi que le son ont été créés en Belgique. C’était une organisation assez complexe et nouvelle pour moi. On avait beaucoup de réunions en ligne, à distance. Je ne suis venue en Belgique qu’à deux reprises, mais nous avions des contacts hebdomadaires à distance. Ce fut très différent que pour Un amour de cochon où j’ai travaillé dans mon propre studio avec une équipe plus réduite.

 

C. : En termes de techniques d’animation, quelle est la grande différence entre Un amour de cochon et Renard et lapine sauvent la forêt ?

M. H. : On a utilisé des procédés totalement différents. Il faut préciser que mes films précédents, Un amour de cochon et Koning Wurst, ce sont des idées originales. Pour Renard et Lapine, on m’a engagée comme réalisatrice pour mener le projet à bien. Le plan du film était déjà prévu quand j’ai accepté le projet. J’ai dû me l’approprier et m’adapter à ce qu’on m’a demandé. Le film Renard & Lapine a été réalisé en 3D animée par ordinateur. Il s’agit d’un procédé complètement différent de la Stop Motion utilisée dans mes réalisations préalables. La grande différence est qu’avec la Stop Motion, il est possible de modifier des choses en cours de projet comme dans un vrai film. Quand on réalise en 3D, ce n’est pas possible de faire des modifications en cours de route et tout doit être prévu en amont. Ça m’a poussé à apprendre énormément. Après, pour être honnête, je ne pense pas que j’accepterais un autre projet de film en 3D. Il ne faut jamais dire jamais, mais je préfère la Stop Motion. On a utilisé le moteur de jeu Unreal Engine. Il y avait beaucoup d’eau dans le film et ça a vraiment été un challenge pour donner un aspect cinématographique au film. Au final, je suis contente du résultat.

 

C. : Si l’on observe votre filmographie, votre premier projet date de 2012 ou 2013 avec Munya In Me, puis quelques courts, mais Mon amour de cochon arrive en 2022 près de 10 ans plus tard. Et seulement un an plus tard, vous êtes déjà de retour avec Fox & Hare. Comment avez-vous fait pour réaliser ce film si rapidement ? Quels sont vos prochains projets ?

M. H. : En effet, les dernières années furent bien remplies. Les projets se sont déroulés en parallèle. Ils ont dû attendre que je finisse Un amour de cochon pour finaliser Renard & Lapine. S’il n’y avait pas eu Un Amour de cochon, ce film serait sorti plus rapidement. Ça a été également éprouvant pour moi de ne pas pouvoir prendre un temps de pause en terminant le premier long métrage d’animation. Le budget pour ce nouveau film était de 6 millions alors que Mon amour de cochon a coûté aux alentours de 2.5 millions. La réalisation d’un film de ce type en 3D fut plus complexe avec beaucoup de personnages et énormément d’eau à animer. Mon prochain projet est déjà lancé et je reviens à la Stop Motion. Le budget dépassera légèrement les 4 millions d’euros.

 

C. : Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur la trame de ce nouveau projet ?

M. H. : Ce sera un film de Noël qui va raconter l’histoire d’un père, d’un fils et d’un chien. Ils partent d’un pays sur un bateau et ils débarquent dans une ville nouvelle. Le papa devient conducteur de tram. Son fils l’accompagne en permanence, mais un jour se passe un imprévu. La mère de l’enfant n’est plus là par suite d'un évènement tragique, mais le papa n’a pas osé le dire à l’enfant qui se met dès lors en quête de retrouver sa maman. C’est vraiment une superbe histoire et ça va donner un très beau film, j’en suis certaine.

 

 

C. : Un conseil pour les jeunes réalisateurs qui se lancent dans l’animation et qui souhaitent réaliser leur film ?

M. H. : Mon conseil est de ne pas abandonner vos projets et continuer d’espérer trouver un financement même quand ça semble compliqué. Et surtout, il faut continuer d’être actif, car ça prend énormément de temps. J’ai réalisé plusieurs courts-métrages avant de sortir mon premier long. Il faut pratiquer pour continuer d’apprendre en continuant de tester de nouvelles choses. À partir du lancement du projet, ça m’a pris pratiquement 8 ans pour réaliser Un amour de cochon. Nous étions souvent bloqués sans pouvoir avancer. Dans ces moments-là, il faut faire d’autres choses afin d’arriver au bout de son projet.

 

Cinergie.be : Y-a-t-il déjà des dates de sortie en salles prévues pour Renard & Lapine sauvent la forêt ?

M. H. : En Belgique, la sortie en salles est prévue en octobre 2024. Il sortira déjà en avril aux Pays-Bas. J’ai entendu à Berlin que le film avait déjà été vendu à plus de 50 pays. Cela va donc sortir un peu partout dans le monde, mais je ne sais pas quand ni où.

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