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Tillo Huygelen, réalisateur de Freda

Publié le 12/03/2024 par Dimitra Bouras et Antoine Phillipart / Catégorie: Entrevue

Pour son film de fin d’études de la KASK en 2021, le jeune Tillo Huygelen a réalisé Freda pendant la période du lockdown. Sélectionné lors du dernier festival En Ville, le film reçoit le prix Cinergie. Frida, c’est l’histoire d’une mère ghanéenne qui vit en Belgique avec son petit garçon d’un an et demi. Enfermé dans leur petit appartement de fortune, ce couple mère-enfant évolue jour après jour. Ils se parlent, jouent, partagent, chantent en attendant… Le monde s’est arrêté de tourner, mais Frida continue de travailler comme femme de ménage et surtout, endosse son rôle de mère seule sans jamais s’arrêter.

Cinergie : Quel est votre parcours ?

Tillo Huygelen: J’ai fait des études de sciences politiques à l’université et après j’ai commencé mes études de cinéma au KASK à Gand. En première année, fiction et documentaire sont ensemble et en deuxième année, on devait choisir et j’ai vite choisi le documentaire. J’ai été fort influencé par le travail de Chantal Akerman et de Johan van der Keuken. Et, à la fin de mes études pendant la deuxième année du Covid, j’ai réalisé Freda. Le Covid a beaucoup influencé nos études et nos choix de sujets.

 

Cinergie : Comment avez-vous rencontré Freda ?

T. H. : Freda travaillait pour mes parents comme femme de ménage depuis six ans. Elle a eu son fils, Grégory, et elle avait le même âge que moi à l’époque. Je me suis rendu compte que même si nous avions le même âge, nous avions des vies totalement différentes. Elle vivait dans de mauvaises conditions dans une maison sous-louée. J’ai voulu faire le portrait de cette personne qui me touchait. C’était un rythme assez calme, à cause du Covid. On travaillait ensemble tous les dimanches, comme elle travaillait le reste de la semaine et moi aussi. Ce rythme convenait, car cela m’a permis de créer un lien très intime avec elle et d’entrer dans sa relation avec son fils. C’était une relation qui nécessitait une approche sincère et lente. Je travaille seul comme réalisateur et normalement je fais l’image et le son moi-même donc j’ai eu l’occasion de trouver un rapport avec elle et une manière de travailler sans m’imposer trop dans sa vie. Le dimanche, nous avions du temps pour essayer des choses et mieux nous connaître.

 

C. : Dans votre film, la fenêtre qui donne sur le monde extérieur est toujours occultée par un rideau, est-ce que c’était intentionnel ?
T. H.: Freda s’enfermait un peu. Je ne sais pas si c’est à cause de sa situation de l’époque, elle vivait dans les affaires d’une autre personne qui sous-louait la maison. Elle aimait s’enfermer du monde extérieur et créer un cocon, en plus du confinement obligatoire. Je n’ai pas fait de changement dans le décor pour créer un décor de vie. Sa chambre est un peu comme un podium où elle raconte sa vie quotidienne.

 

C. : Sa seule relation avec le monde extérieur passe par un autre écran, celui de son téléphone. Pourquoi l’avez-vous confinée dans cet appartement ? Pourquoi ne pas être allés à l’extérieur ?

T. H.: Il y a la scène où elle travaille dehors pour créer un contraste. Et il y a ce plan aussi à la fin du film où elle est dehors, au printemps, au soleil, et ce plan contraste avec sa vie close en appartement. C’était la première image que j’avais faite pour le film. Au début, elle ne connaissait pas la trajectoire du film, elle n’imaginait pas un film sur elle. Au début, elle ne savait pas quoi faire devant la caméra, elle jouait un peu à la star et j’aimais beaucoup ce contraste entre sa vie intérieure avec son fils et sa maternité et ce monde extérieur où elle est seule et un peu plus libre. Il y avait aussi beaucoup de contraintes liées au Covid pour filmer à l’extérieur.

 

C. : Comment le film s’est-il écrit ?

T. H. : Je n’écris jamais de scénario avant de filmer. C’est à partir des images que je construis une structure pour le film. Ici, c’est le monde intérieur et extérieur qui sont comme une toile. Dès le départ, je savais que le film allait se concentrer sur elle dans sa chambre et dans son appartement. Je savais que pour raconter cette histoire de maternité, je devais me concentrer sur cet espace.

 

C. : On a vu le film comme un portrait d’une femme seule, isolée avec son enfant qui communique avec son frère par téléphone. C’est ce que l’on se raconte en tant que spectateur. Mais vous, que vouliez-vous raconter avec ce film?

T. H. : Le point de départ, c’était vraiment l’idée d’enfermement. Et que son travail de mère ne s’arrête jamais. Je voulais montrer que le monde pouvait s’arrêter, mais pas le travail des mères.

 

C. : Vous le saviez déjà avant de commencer le film ?
T.
H. : Non, je l’ai réalisé après. Mon point de départ était très simple. Je voulais mieux connaître une personne qui m’intrigue. Freda avait une énergie très particulière. Je n’avais pas besoin de beaucoup de mots pour la diriger. Elle avait une très belle présence dans ce film. C’était un peu magique.

 

C. : On a l’impression que c’est la caméra qui regarde Freda. Que lui avez-vous dit avant de commencer à filmer?

T. H. : Elle savait ce qu’elle voulait montrer dans le film. On a parlé des situations qu’on allait filmer, mais pas de l’image en soi. Quand elle a vu le film pour la première fois au cinéma, elle n’a pas dit grand chose. Elle disait qu’elle savait ce qu’elle avait montré. Elle était peu surprise finalement. Elle était très consciente du processus.

 

C. : Vous êtes-vous appuyé sur des souvenirs d’enfance pour écrire le scénario ?
T.
H. : Non, je n’ai pas écrit à partir de mes souvenirs. Mais pour la scène du bain du bébé, c’est ma mère qui faisait le son. Ce triangle entre Freda, ma mère et moi était magique. Pendant ce moment, il y avait une atmosphère très spéciale et très chaleureuse. Peut-être que je me suis senti bébé moi-même. C’était un vrai moment d’amour très spécial que ma mère a ressenti aussi. J’ai essayé de tourner cette scène seul mais je ne suis pas parvenu à retrouver la justesse du moment.

 

C. : On sent que Freda n’a pas une vie confortable.
T.
H. : Sa situation s’est améliorée. On est devenus amis et ma mère s’est occupée d’elle en lui proposant une chambre chez nous. On est toujours très proches et on se connaît très bien. C’est peut-être une idée pour un second film de m’appuyer sur le point de vue de son fils qui a cinq ans aujourd’hui.

 

C. : Le lien qu’elle a encore avec son pays d’origine, le Ghana, repose sur la nourriture. Elle dit que son fils aime les plats traditionnels.

T. H. : C’est une relation assez difficile. Elle dit qu’elle veut y retourner, mais pas sans argent. Elle ne peut pas montrer qu’elle vit des échecs en Europe. Elle ne peut pas dire qu’elle vit dans de mauvaises conditions, comme beaucoup d’immigrés. Elle pourrait y retourner parce qu’elle a ses papiers, mais c’est compliqué pour elle.

 

C. : Le KASK imposait un sujet pour ce film ?
T. H. : Non, c’était libre. Dès la première année, on est libres de faire les films que l’on souhaite. Parfois, il y a un thème mais ici, non. Pour le moment, c’est mon seul film, que j’ai réalisé en 2021. Le fait qu’il passe à En Ville me donne envie de continuer.

 

C. : Vous n’aviez plus envie d’en faire ?
T.
H. : Actuellement, j'écris sur le cinéma et ça m’intéresse beaucoup aussi. Faire un film, c’est très stressant. En plus, j'ai travaillé seul. La prochaine fois, je préfère travailler avec d’autres personnes en qui j’ai confiance.

 

C. : On sent la référence à Chantal Akerman dans ce film.

T. H. : Je l’avais en tête, mais de manière inconsciente. Je voulais donner du temps à quelqu’un devant la caméra. Dès le début de mes études, Chantal Akerman était très importante. Ma thèse de fin d’études était sur De l’autre côté (2002), son film tourné au Mexique.

 

C. : Avant le festival En Ville, le film avait déjà été montré ?
T.
H. : Il avait été montré au festival La septième lune à Paris.

 

C. : Vous avez d’autres idées de films ?
T.
H. : J’ai voulu faire un film sur les jardins et sur des gens qui y plantent des légumes qui viennent de leur pays d'origine et les histoires, les gestes qui y sont liés.

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